Un art autochtone décomplexé dans les musées du Québec

Les mots « art » et « musée » n’existent pas dans la plupart des langues autochtones au Canada. Pourtant, ces dernières années, un souci de représentation juste de leur culture et de diffusion de leur art germe dans le réseau des musées québécois.

« Les autochtones vont parfois juger qu’ils ont perdu leur culture matérielle aux mains des musées, donc une espèce de méfiance s’installe », observe le conservateur de la collection Cultures autochtones du musée McCord à Montréal, Jonathan Lainey, originaire de la nation huronne-wendat. 

Effectivement, les musées datent de l’époque de la colonisation. Les explorateurs européens rapportaient de leurs voyages des objets qu’ils trouvaient inusités, beaux ou précieux pour les montrer à la population. C’est donc un concept occidental, né avec l’assimilation, entre autres, des peuples autochtones.

Des ponts sont néanmoins en train d’être créés entre ces institutions et les artistes autochtones. Plusieurs musées veulent créer des partenariats avec les communautés. Ils veulent leur avis et ils désirent leur participation aux expositions.

Jonathan Lainey fait notamment ce lien entre les Premiers Peuples et le musée McCord. Celui qui y occupe le poste de conservateur depuis février illustre l’intérêt grandissant des musées d’inclure des personnes issues de communautés autochtones dans les pouvoirs décisionnels. « Je pense qu’en étant un membre des Premières Nations, ça peut permettre de faciliter les échanges et la communication », ajoute-t-il. 

Un art usuel

Le format des musées d’art, malgré l’amélioration dans la représentation de l’art autochtone, n’est pas forcément toujours adapté à leur culture.

« Parfois, c’est difficile de pouvoir avoir accès à ces institutions, parce que [la reconnaissance] est selon des barèmes qui ne proviennent pas de notre culture », révèle Eruoma Awashish, artiste visuelle atikamekw. « Chez nous, les gens de la communauté savent que leur savoir, leur talent, leurs connaissances ont été transmis par des gens qui, avant eux, étaient maîtres dans ce qu’ils faisaient. ».

La distinction, très occidentale, entre l’artiste et l’artisan(e) n’existe pas pour ces communautés, chez qui le processus de création est valorisé sous toutes ses formes. « Le travail de la personne qui fait des raquettes et des mocassins a autant de valeur que [celui de] la personne qui peint et sculpte […] Je pense que c’est ça qui est difficile parfois pour les artistes autochtones », indique Eruoma Awashish, qui a elle-même suivi un cursus universitaire en art interdisciplinaire à l’Université du Québec à Chicoutimi. 

Plusieurs artistes contemporains autochtones, comme Nadia Myre, Kent Monkman, Hannah Claus et Caroline Monnet, ont également étudié les arts visuels à l’université. « Ils font partie du marché de l’art. Le fait d’exposer leurs oeuvres dans des musées contribue à la diffusion de leur culture et de leurs pratiques, mais totalement [de manière] adéquate aux musées tels qu’on les conçoit maintenant », affirme Marie-Charlotte Franco, postdoctorante et chargée de cours en muséologie et en histoire de l’art à l’UQAM. 

Considérés comme des lieux de savoir, les musées demeurent toutefois une plateforme importante pour la diffusion artistique. Selon Mme Franco, l’impact des images et des discours exposés peut changer tranquillement la conscience collective. 

« Autrefois, on les mettait en scène, on pouvait faire des erreurs d’interprétation, on pouvait provoquer des anachronismes ou présenter les autochtones de façon beaucoup plus colonialiste. Maintenant, on tente de faire une nouvelle muséologie qui tient compte des aspirations des communautés », remarque Jonathan Lainey.

Des cultures toujours vivantes

Le Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) a intégré, pour la première fois en 2011, l’art contemporain autochtone dans son pavillon d’art québécois et canadien.

« À l’étage des identités fondatrices, vous avez des oeuvres d’artistes autochtones contemporains qui permettent d’avoir un regard critique de leur part sur le fait qu’ils n’aient pas été introduits dans la scénographie des beaux-arts, alors qu’on avait beaucoup d’oeuvres, réalisées par nos artistes, les représentant », explique le conservateur de l’art québécois et canadien avant 1945 au MBAM, Jacques Des Rochers. Le but du conservateur est d’arrêter d’isoler l’art autochtone et de l’intégrer dans le discours de l’évolution de l’histoire de l’art. 

À travers l’histoire, beaucoup d’artistes québécois(es) ou européen(ne)s ont représenté, souvent de manière stéréotypée, les peuples autochtones. Le conservateur trouve ainsi intéressant de créer des parallèles historiquement et socialement critiques. Par exemple, les visiteurs sont accueillis dans le pavillon par une statue en argent de la vierge, provenant du régime français de l’époque, accompagnée d’une vidéo de l’artiste contemporaine Nadia Myre. « On la voit dans un canoë qui s’approche de nous, qui se promène dans le paysage, qui nous regarde avec défi pour signifier que le regard autochtone doit provenir de l’autochtone lui-même », décrit Jacques Des Rochers.

Le fait d’exposer les oeuvres contemporaines des Premières Nations est une façon de montrer au public que ce sont des peuples toujours vivants, que leur culture n’est pas figée dans le temps. Leurs pratiques ont évolué et ne sont plus forcément à l’image de ce qu’on apprend d’elles dans les manuels d’histoire. 

« S’il y avait des visites obligatoires qui valorisaient les cultures autochtones de la bonne manière, une histoire critique, qui vient aussi d’un point de vue autochtone, peut-être qu’il y aurait moins de préjugés et moins de choses horribles comme on a vu récemment », explique la postdoctorante Marie-Charlotte Franco.

Celle-ci ajoute que « l’art permet de montrer une continuité : les communautés autochtones ne sont pas mortes, elles sont encore vivantes. Il y a une création, une créativité, de nouveaux processus de fabrication. C’est très important. »

Mention photo Andréa Spirito | Montréal Campus

 

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