Quand la peur noue les tripes

Un coup de tonnerre. Un café offert par un collègue. Une poignée de main, même avant la COVID-19. Pour certains et certaines, tous ces exemples transpirent la normalité. Pour d’autres, c’est la perte radicale de contrôle, l’envie de se tapir sous terre et d’y rester. Les phobies, frôlant parfois l’absurde pour ceux et celles qui n’en souffrent pas, alourdissent le quotidien d’une personne sur dix au Canada. Tour d’horizon.

« La plante verte derrière vous aurait effrayé un patient que j’ai traité l’an dernier. Il ne pouvait pas les tolérer », lance le professeur au département de psychologie de l’UQAM et psychologue spécialisé en traitement des phobies, Dr Claude Bélanger. Existe-t-il une peur bleue pour tout? « Absolument. Tout », assure-t-il. 

En fait, la peur fait son nid en marge du niveau de dangerosité de l’objet phobique. « Celle d’un ours, par exemple, est nécessaire : elle protège contre le danger. C’est lorsqu’il y a pairage d’un danger et d’un élément qui n’en présente aucun que l’on parle de phobie », illustre le psychologue. La crainte est ainsi acquise, souvent par le biais d’un traumatisme d’enfance, et prend la forme d’un risque tangible. 

L’apparition de la thanatophobie – peur de la mort – d’Eliza Osborne, une jeune femme de 19 ans, s’inscrit dans cette mécanique. « Ma peur de mourir s’est transformée en phobie à la suite du décès d’un proche », révèle-t-elle. Rapidement ont déboulé des épisodes empreints de panique et de paranoïa. 

Les phobies relèvent des troubles anxieux et non des troubles psychotiques, alors « [elles] ne sont pas les fruits de fausses croyances », énonce Claude Bélanger. Bien au contraire, les personnes atteintes « réalisent que leur réaction est exagérée, mais ne peuvent faire autrement », ajoute-t-il. Ce facteur d’anxiété, lorsqu’isolé de tout autre trouble psychologique, rend le traitement de la phobie moins complexe. Il suscite néanmoins des moments de vive détresse.

Le poison comme un fantôme

De même que certains craignent les araignées, d’autres faiblissent à la simple pensée d’un poison. Certes, ce dernier constitue un danger : les récentes tentatives d’empoisonnement de l’opposant au Kremlin Alexeï Navalny et du président américain – par une Longueuilloise – le rappellent amèrement. Chez les toxicophobes, toutefois, au simple doute d’un risque se juxtapose une frousse qui tend parfois vers la méfiance.

Cette double dimension contribue au caractère atypique de la toxicophobie : « C’est assez particulier », admet Dr Bélanger. « Deux avenues peuvent s’emprunter. L’avenue anxieuse, celle de la majorité des phobies, ou l’avenue paranoïde ». La seconde se traduit par une angoisse d’être victime d’empoisonnement par un individu malveillant. Dans certains cas extrêmes, le doute peut même concerner les proches de la personne touchée. Autrement, la peur réside dans les aliments, les liquides ou l’air, et n’est pas du ressort de la paranoïa.

Étant donné que « celui ou celle aux prises avec une phobie a des comportements de protection à la hauteur du danger perçu », formule le professeur, son quotidien peut se transformer en partie de cache-cache avec, chez les toxicophobes, la possibilité d’empoisonnement. Appelées comportements d’évitement, ces façons d’esquiver ont plusieurs visages : s’enfermer chez soi, éviter de consommer des plats préparés par autrui, s’affoler au premier malaise physique, et cetera.

Vers une compréhension plus complète

À travers la lunette de ceux et celles qui ne côtoient aucune phobie, il est facile de dédramatiser la situation. Des commentaires simplistes, Eliza Osborne en a reçu. « N’aie pas peur de la mort. Fais juste vivre », cite-t-elle en exemple. Dr Claude Bélanger abonde dans ce sens, témoin de propos « comparant les phobies à des caprices ». Il avance même un parallèle avec les troubles dépressifs, qui engendrent souvent des remarques similaires.

Selon Eliza, il faut « en parler plus, tout simplement. » Donner un coup de hache dans les idées préconçues selon lesquelles certaines choses sont terrifiantes et d’autres non; informer sur les formes de consultation psychologique spécialement conçues pour se débarrasser d’une phobie. Car à défaut de soutien professionnel, avertit la jeune femme, les phobies ont la triste capacité « d’étouffer massivement la vie des gens ».

Crédit photo Lauren Saucier | Montréal Campus

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