Transformer Saint-Denis en rue piétonne : réaliste ou utopique?

La rue Saint-Denis est connue pour son ambiance vivante, son achalandage et pour les nombreux travaux qui s’y sont déroulés durant la dernière décennie. Certains regroupements citoyens croient que la piétonnisation revemperait la rue pour qu’elle retrouve sa popularité et qu’elle redevienne l’une des artères économique et culturelle importante de la métropole. 

La Société de développement commercial de la rue Saint-Denis (SDC) a déclaré en novembre 2019  que le taux d’inoccupation des commerces de la rue y est passé de 18,9 % en 2015 à 23,9 % en 2019. En réaction à cette forte hausse, la Ville de Montréal a lancé un projet de revalorisation de la rue Saint-Denis en 2019 visant notamment à accroître progressivement l’espace public dédié aux piétons et aux piétonnes afin de dynamiser l’artère. 

Pour plusieurs citoyens et citoyennes du quartier, ce type d’amélioration n’est toutefois pas suffisante. Certain(e)s Montréalais et Montréalaises revendiquent depuis 40 ans le désir de voir la rue Saint-Denis devenir piétonne durant la période incluse entre le début du mois d’avril jusqu’à la fin du mois d’août. 

Le chef et copropriétaire du restaurant Bleu Raisin situé à l’angle de la rue Boucher sur la rue Saint-Denis, Frédérick Mey, croit que la restructuration pourrait être bénéfique pour les commerçants et les commerçantes. « Ça pourrait être un projet intéressant, si c’est bien fait », confie-t-il en précisant que la piétonnisation de la rue Saint-Denis pourrait la rendre plus conviviale, surtout l’été.

Une fausse bonne idée?

L’urbaniste et professeur titulaire à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’Université de Montréal, Gérard Beaudet, doute que la potentielle piétonnisation de la rue puisse aider à relancer l’économie dans le secteur. Il explique que le facteur principal de la réussite économique d’un projet de la sorte réside dans l’association de la rue à un attrait important. « Est-ce que des tronçons de rues où il n’y a pas véritablement d’éléments attracteurs peuvent survivre si nous les piétonnisons? Les probabilités sont très minces », affirme-t-il.

Interrogé sur les causes du taux élevé d’espaces commerciaux inoccupés sur la rue, M. Beaudet met la faute sur la mauvaise gestion de la Ville de Montréal ainsi que sur la perte d’intérêt. « Malheureusement, les années ont démontré que l’Université du Québec à Montréal (UQAM) ne suffit pas à faire vivre Saint-Denis à son plein potentiel, précise-t-il. Les temps ont changés et [la rue] n’a pas suivi. »

La professeure au département d’études urbaines et touristiques de l’UQAM Priscilla Ananian, n’est pas certaine qu’une rue Saint-Denis piétonnière serait plus prospère. « La piétonnisation n’est jamais garante de santé économique, dit-elle d’emblée. Beaucoup de facteurs entrent en jeu, comme le type de commerce ou la localisation. » 

Même si un tel projet peut comporter des avantages, cela vient aussi avec son lot de problèmes, comme l’explique Mme Ananian. « Ce que les exemples d’ailleurs nous ont montrés, c’est qu’il y a un essor de la criminalité sur les rues où l’accès aux piétons est facilité », poursuit-elle. La Grand-Place de Bruxelles et le quartier Saara de Rio de Janeiro ont vu leur taux de criminalité s’aggraver depuis que l’accès aux piétons et aux piétonnes y a été implanté. 

La mairesse du Plateau-Mont-Royal de 2002 à 2009, Helen Fotopulos, dit avoir eu vent de projets de piétonnisation venant de la population. Malgré l’importance que prend la question de la sécurité des piétons et des piétonnes, bloquer l’accès aux voitures n’a « jamais réellement [été] envisagé pour de longues périodes », selon elle. 

À l’époque, l’administration de l’arrondissement était d’accord sur le fait qu’un projet piétonnier à long terme ne serait pas avantageux économiquement et que la cohabitation voitures-piéton(ne)s était beaucoup plus adaptée.

Dans la deuxième moitié des années 2000, de grandes consultations publiques avaient été organisées avec plusieurs experts et expertes dans le but de discuter de la santé commerciale de plusieurs artères importantes, comme Saint-Denis, Laurier et Papineau. Elles se sont conclues par la nécessité d’offrir un meilleur accès aux cyclistes ainsi que des trottoirs plus larges pour les piétons et les piétonnes, sans restreindre la place des automobiles pour ne pas nuire à la santé économique de le rue. 

Viabilité commerciale et immobilière

Anik Tremblay habite sur la rue Drolet, parallèle à Saint-Denis, depuis plus de 10 ans. Selon elle, l’idée de transformer la rue afin de favoriser les piétons et les piétonnes en est une excellente. « Je suis convaincue qu’il y aurait plus de personnes et plus de commerces prospères sur la rue si elle était pensée pour une utilisation piétonne », explique-t-elle. 

De son côté, le copropriétaire du restaurant Bleu Raisin craint qu’un tel projet cause des problèmes de stationnement sur les rues avoisinantes. « Il est parfois tellement difficile de trouver un stationnement qu’offrir cet espace aux piétons ne ferait qu’accentuer le problème », dit Frédérick Mey. 

Mme Tremblay croit également que la Ville ne doit pas seulement développer ses routes en fonction d’une utilisation par les automobiles. Elle utilise les transports en commun tous les jours et espère que la Ville de Montréal développe davantage son réseau. « En 2020, la Ville doit être capable de mettre en place des projets réfléchis pour améliorer l’offre des transports en commun sans penser aux voitures », dit-elle.

La professeure et urbaniste Priscilla Ananian rappelle que l’implantation d’un projet de piétonnisation est complexe, car il faut trouver des solutions aux problèmes possibles, et ce avant même le début des travaux. « Il faut penser à tout le monde. On ne peut pas juste piétonniser sans penser à des alternatives que ce soit en transport en commun ou en stationnements incitatifs. » 

Sur la question du déplacement à Montréal, Mme Fotopulos est convaincue qu’une cohabitation entre voitures, vélos et piétons et piétonnes est encore l’option idéale pour satisfaire toutes les parties : « Le pari que nous avons fait par rapport aux aménagements de déplacements il y a dix ans était le bon et la cohabitation y fonctionne toujours ».

Cet article devait paraître dans l’édition papier du printemps 2020 qui a été annulée en raison de la COVID-19. 

Crédit photo Wesley Tinger | Unsplash

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