Une combattante passionnée et résiliente : c’est ainsi que les personnes qui ont eu l’occasion de côtoyer Fernande Saint-Martin de près comme de loin la décrivent. La sémiologue, théoricienne, journaliste, militante, écrivaine, critique, poète et enseignante est décédée le 11 décembre dernier à l’âge de 92 ans. Survol d’une carrière marquante à bien des égards.
« Elle était comme une amazone, image Jocelyne Lupien, professeure au Département d’histoire de l’art de l’UQAM. Une femme qui se battait, qui luttait, qui était extraordinaire. »
Mme Lupien, qui a étudié la sémiologie sous la tutelle de Fernande Saint-Marin, rappelle qu’elle œuvrait à « une époque où elle devait être extrêmement combative, surtout en tant que femme ». Détentrice de trois baccalauréats, d’une maîtrise et d’un doctorat, « elle va défendre [ses idées] avec brio et elle va défricher des pans de la pensée intellectuelle que d’autres n’auront jamais encore défrichés », poursuit la professeure.
Pour Lisa Bouraly, étudiante au doctorat en muséologie, médiation, patrimoine à l’UQAM, il est impossible de parler de l’histoire culturelle du Québec et de la Révolution tranquille sans mentionner Fernande Saint-Martin. « Je pense qu’on ne peut pas la mettre de côté parce qu’elle a touché à plusieurs domaines et chaque fois, elle les a “revirés” de bord et les a remis sur le droit chemin », affirme-t-elle.
Épater la galerie
« Parmi tous ses gestes pour changer le paysage culturel québécois, il y a eu la galerie L’Actuelle, qui a été une aventure extravagante et unique », souligne Mme Bouraly, coautrice du livre L’Actuelle, qui relate la genèse du projet.
Fernande Saint-Martin fonde cette galerie en 1955 avec le peintre Guido Molinari, qu’elle rencontre deux ans auparavant. Il deviendra plus tard son mari et le père de son fils unique. Jusqu’à sa fermeture en 1957, L’Actuelle accueille quelque 31 expositions consacrées exclusivement à l’art non figuratif et se veut également « un espace de recherche », précise Lisa Bouraly.
Des peintres tel(le)s que Jean-Paul Riopelle, Paul-Émile Borduas, Rita Letendre et Claude Tousignant sont parmi les artistes exposé(e)s à la galerie, qui a servi de piédestal à l’art non figuratif québécois.
Renverser la tendance
Trois ans après la fermeture de L’Actuelle, Fernande Saint-Martin fait son entrée au magazine Châtelaine. Elle en sera la rédactrice en chef, la première dans l’histoire du périodique, jusqu’en 1972.
« Châtelaine était vraiment un magazine pour apprendre à être une bonne femme au foyer, et [Mme Saint-Martin] en a fait une revue féministe où on parlait de problématiques qui intéressaient les femmes à l’époque », remarque Lisa Bouraly.
En 1964, l’écrivaine Michelle Labrèche-Larouche cogne à la porte des bureaux de Châtelaine avec un sujet à proposer, mais « aucune expérience » en journalisme. « Elle n’avait qu’à confier le sujet à quelqu’un d’autre, estime-t-elle. Mais non, elle s’est attelée, elle m’a aidée. J’ai bien l’impression qu’elle a été la mentore de bien des journalistes. »
Mme Labrèche-Larouche la voit encore derrière son bureau, « cette femme magnifique, tellement brillante et tellement attentive ». « J’en garde un souvenir magnifique. Elle m’a donné confiance en moi, elle m’a donné ma première chance », ajoute-t-elle.
Rentrée remarquée
Après un passage au Musée d’art contemporain de Montréal entre 1972 à 1977 en tant que directrice, Fernande Saint-Martin débute sa carrière d’enseignante à l’UQAM en 1979. Elle y cofonde le doctorat en sémiologie, cette science des significations, et est « l’une des premières à y enseigner », relève Jocelyne Lupien, qui est aujourd’hui employée au poste que Mme Saint-Martin a occupé jusqu’en 1996. « C’est elle qui a amené la sémiologie, je dirais pas juste au Québec, mais partout au Canada », avance Mme Lupien.
Lors du premier cours de sa première session à l’UQAM en 1980, Jocelyne Lupien fait la rencontre de Mme Saint-Martin. Debout devant la projection d’une oeuvre de Paul-Émile Borduas, l’enseignante a demandé d’entrée de jeu aux quelque cent personnes assises dans l’auditorium de « prendre papier et crayon et d’écrire en quelques lignes, très brièvement, ce qu’on voyait », raconte Mme Lupien.
Cinq minutes plus tard et après avoir lu une vingtaine de ces descriptions, la théoricienne a interrogé Jocelyne Lupien et ses collègues: « Est-ce que vous vous rendez compte qu’aucune de ces descriptions n’est identique, qu’elles sont toutes différentes? Pourquoi? »
En posant cette question, Fernande Saint-Martin « nous a tout de suite sensibilisés à l’importance de l’expérience perceptive d’une œuvre », se remémore Mme Lupien. « C’était ça son cheval de bataille, partout dans sa vie de pédagogue, de théoricienne et de journaliste », ajoute-t-elle.
Selon Mme Lupien, la capacité de Fernande Saint-Martin d’aller piger dans des domaines comme la psychanalyse et la sociologie « pour comprendre les différents aspects de l’expérience esthétique » en fait une pionnière de la sémiologie moderne.
« Elle comprenait que tous les outils n’étaient pas là en histoire de l’art. La discipline devait s’ouvrir à d’autres approches, à d’autres champs pour nourrir la compréhension des oeuvres », détaille la professeure. L’ouvrage Sémiologie du langage visuel que signe Mme Saint-Martin en 1987 est d’ailleurs aujourd’hui considéré comme une lecture incontournable dans ce champ d’études.
« Elle est vraiment une chercheuse hors pair dans son domaine », renchérit Lisa Bouraly. L’étudiante au doctorat en muséologie, médiation, patrimoine soutient que Mme Saint-Martin est « un beau modèle de résilience pour les gens qui veulent aider à la promotion de la culture et qui veulent être inspirés au niveau intellectuel ».
« Est-ce qu’il va y avoir une rue à son nom à Montréal? Je dirais que ce n’est pas improbable », estime Mme Bouraly, dont la voie a été « pavée » par Fernande Saint-Martin.
Cet article devait paraître dans l’édition papier du printemps 2020 qui a été annulée en raison de la COVID-19.
Crédit photo Services des communications | UQAM
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