En pleine crise du coronavirus, la communauté de photographie argentique de Montréal a dû faire la mise au point pour poursuivre ses pratiques : tour d’horizon des effets qu’a cette pandémie sur un art où le contact humain est maître.
Le Boréalis Laboratoire Photo a partiellement fermé ses portes de l’avenue de l’Hôtel de ville depuis l’annonce de réduction des services non essentiels du gouvernement Legault datant du 25 mars dernier. Rachel Labrèche, propriétaire de ce laboratoire spécialisé du Plateau-Mont-Royal fondé en 1988, n’a eu d’autre choix que d’user de créativité pour continuer de faire tourner ses machines.
« J’ai quatre [machines de développement de film commerciales], mais il y en a une dans laquelle toutes les chimies sont mortes. Il va falloir tout nettoyer, gratter et recommencer », explique-t-elle. Les chimies, un terme du jargon qui désigne les produits utilisés lors du développement photographique tels le révélateur, le bain d’arrêt et le fixateur, doivent être activées régulièrement, sans quoi elles deviennent inutilisables. Remplacer celles qui sont contenues dans les machines coûterait près de 3000 dollars et s’accompagnerait d’une semaine de nettoyage ardu.
« On s’est rendu compte qu’il y avait quand même des gens qui laissaient [leur film] dans le dépôt de nuit, donc on en a profité pour attraper ça au vol et essayer de faire bouger les chimies en ayant un peu de rentrées d’argent », ajoute-t-elle, tout en précisant que l’entreprise est loin de faire la moitié de son chiffre d’affaires habituel.
Changer son objectif de bord
Emboîtant le pas au Studio Argentique, un autre studio montréalais offrant des services en chambre noire, Rachel Labrèche et ses deux employés ont élaboré un système qui leur permet de répondre aux besoins sans contact, ni entre les membres du personnel ni avec la clientèle. Les films sont désormais déposés dans la boîte de dépôt de nuit. À raison de deux journées par semaine, un employé ou une employée s’occupe du développement et des autres tâches, dont les tirages photo. Puis, le ou la même commis envoie ces tirages par la poste, partage les images numérisées avec le service en ligne WeTransfer ou encore planifie, avec la personne concernée, un moment pour récupérer ses négatifs par la boîte noire extérieure du laboratoire. Le Boréalis continue également la vente de film photographique par voie postale.
La nature sociale du huitième art, impliquant généralement un photographe et un événement, une personne ou une chose comme sujet d’immortalisation, en fait un passe-temps moins adapté en période d’isolement. Bien qu’il développe lui-même la majorité de ses clichés pour des raisons économiques et environnementales, François Hosy, artiste marketing dans le domaine des jeux vidéo, a été obligé de revoir ses habitudes photographiques. « D’habitude, ma pratique photo c’est de sortir dehors, de prendre des photos de maisons, de bâtiments, des trucs que je vois dans la rue », raconte celui qui tourne maintenant sa caméra vers les objets qui l’entourent.
L’amoureux de photo argentique se considère plutôt prévoyant côté matériel. « J’ai commencé à utiliser mon stock de 120 mm, ça faisait longtemps que je n’en avais pas fait », dit-il, optimiste. Il observe toutefois que plusieurs personnes se disent en manque de matériel dans les groupes en ligne d’adeptes de photographie.
Le numérique à la rescousse
La technicienne en travaux pratiques à l’École des arts visuels et médiatiques de l’UQAM Janie Julien-Fort reconnaît les bienfaits de l’omniprésence numérique en ces temps incertains. « Les étudiants ont dû se tourner vers des méthodes un peu plus DIY [Do It Yourself], ou encore vers la photographie numérique », explique celle qui accompagne les cours de photographie en chambre noire. « La plupart ont un appareil, ne serait-ce que leur téléphone, pour continuer leurs travaux », assure-t-elle.
En plus de sa charge à l’UQAM, Mme Julien-Fort expose régulièrement ses projets de photographie argentique, expérimentaux pour la plupart. Selon elle, la communauté de photographie montréalaise ne se laisse pas abattre par la crise. « Des organismes sans but lucratif mettent de nouvelles oeuvres en encan à chaque semaine », explique la photographe, en ajoutant que les profits amassés sont distribués aux artistes. « D’autres font maintenant de la photo pour documenter un peu plus la crise », dit-elle. Janie Julien-Fort croit qu’en pointant leur viseur vers des horizons différents, les photographes de ce monde risquent fort de capturer de nouvelles idées qui leur permettront de « sortir leur épingle du jeu ».
Photo William d’Avignon | Montréal Campus
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