Quand l’information tombe dans les craques

Un an et demi après avoir arrêté d’envoyer du matériel militaire vers l’Arabie saoudite, le gouvernement du Canada a annoncé, le 9 avril dernier, que les exportations de ces équipements pourront reprendre. Le saviez-vous ? Probablement pas. Les yeux du monde entier sont rivés vers la crise de la COVID-19, reléguant ainsi bien des sujets à l’arrière-scène. On assiste ici à l’exemple parfait d’une éclipse médiatique.

Lors d’une éclipse médiatique, un événement survient et force les médias à concentrer tous leurs efforts pour le couvrir. « Ça devient le talk of the town. Tout ce qui fait parler dans les médias, que ce soit à la télévision, à la radio ou sur les réseaux sociaux, c’est l’objet de l’éclipse médiatique », explique le stratège en communication et en relations publiques David Couturier.

Pour les gouvernements, l’occasion est bonne pour annoncer une mauvaise nouvelle. En effet, si les médias sont trop occupés à couvrir le sujet de l’heure, ils n’auront pas les ressources nécessaires pour donner autant d’attention aux autres sujets. Une stratégie « machiavélique, mais qui fonctionne », selon David Couturier. 

« C’est une stratégie relativement courante parce qu’efficace », confirme le professeur au département de communication sociale et publique de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) Olivier Turbide.

Les deux experts sont catégoriques : cette stratégie doit être utilisée avec soin, puisqu’elle peut engendrer une réponse négative importante. « C’est un gros pensez-y-bien, croit M. Couturier. Des fois il y a un effet boomerang qui peut être important et il serait plus payant d’affronter la tempête pendant 24 heures au lieu que ça s’étire et que les médias se braquent en raison du moment choisi pour annoncer la mauvaise nouvelle. » 

Olivier Turbide ajoute d’ailleurs que si la manoeuvre est « vraiment délibérée et est épinglée » par les médias ou les citoyens, cela fait croire à une organisation ou à un gouvernement « qui manque de transparence ou qui démontre une transparence de façade ».

M. Turbide va encore plus loin. Il estime qu’exploiter une éclipse médiatique pour faire une annonce impopulaire est une stratégie qui « questionne la moralité des organisations, leur sens éthique, leur honnêteté et qui crée un climat toxique sur le plan des relations publiques entre l’organisation et les journalistes ».

La professeure au département de science politique de l’UQAM Anne-Marie Gingras ne voit pas la situation du même oeil. 

Selon elle, toutes les communications d’un gouvernement font l’objet d’une réflexion avant d’être rendues publiques. « C’est un petit peu normal, avoue la professeure. En période de crise où les médias se focalisent sur quelque chose de particulier, tous les gouvernements vont avoir tendance à rendre publique une information qui serait susceptible de causer du mécontentement. » 

Mme Gingras rappelle également que certaines décisions gouvernementales, comme la reprise des exportations de matériel militaire vers l’Arabie saoudite, ne sont pas plaisantes à annoncer pour les politiciens. Il faut donc parfois « se mettre dans leurs souliers » pour mieux comprendre leurs actions.

La situation pourrait être appelée à changer à l’ère des médias sociaux, selon Olivier Turbide, puisque « le citoyen reprend un pouvoir où il est en mesure d’attaquer assez férocement des gouvernements qui utilisent à répétition ces manoeuvres ». Une plus grande dénonciation citoyenne de l’utilisation de ces tactiques serait donc la seule façon de « ramener un peu de moralité dans les pratiques de relations publiques ».

Photo William d’Avignon | Montréal Campus

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