Portrait d’un art millénaire

Autrefois récité afin de moraliser ou d’inculquer valeurs et moeurs, le conte est aujourd’hui vu comme un art au même titre que le cinéma ou le théâtre. Malgré une renommée moindre, ce genre littéraire connaît un regain d’intérêt depuis quelques années. Lumière sur cet art de la parole.

« Être conteur, c’est d’abord raconter des histoires, mais cela va au-delà [de ça] », déclare la conteuse française Aïni Iften. Pour elle tout comme pour le conteur québécois Jérome Bérubé, la clé est le contact avec le public. « La relation se situe un peu plus près de la relation que l’humoriste va avoir avec le public que [de celle du] comédien », explique ce dernier en précisant qu’il n’y a pas de quatrième mur en conte.

« Le conte n’est pas un domaine réservé aux petits enfants ou aux vieillards », enchaîne le conteur, Olivier de Robert. C’est simplement des choses importantes qu’on a à se dire en tant qu’êtres humains les uns aux autres. » Il constate d’ailleurs un regain d’intérêt ; les gens veulent de nouveau être ensemble devant un art vivant et non une télévision. « Se rassembler dans une salle et vivre quelque chose ensemble, de commun, c’est extrêmement fort », explique l’homme originaire de France.

Allant de la fable traditionnelle et merveilleuse à la légende et aux anecdotes du quotidien, le répertoire du conte est très vaste. « Idéalement, tu ne fais pas juste raconter l’histoire sans savoir ce qu’elle porte, indique Jérome. Il [doit] y avoir une appropriation du texte. » Pour cet artiste de la parole, l’histoire est comme un animal empaillé : « l’histoire va avoir la forme de l’animal, mais elle n’aura pas la vie. C’est ta vie que tu dois insuffler. »

« Il y a mille conteurs et mille façons de conter », indique Olivier de Robert qui pratique le métier depuis 20 ans. Jérôme Bérubé surenchérit : « C’est un beau melting pot [où] chaque conteur a une recette différente. » Certains et certaines écrivent leurs histoires, d’autres préfèrent s’en tenir aux récits plus traditionnels. Il y a aussi ceux et celles qui ne puisent leur poésie que dans le passé, alors que d’autres situent leur histoire dans un monde contemporain. C’est le cas de Paul Bradley, l’ami de Jérôme, qui écrit actuellement un conte traitant de Pokémon GO.

Un métier enrichissant, mais peu payant

Être conteur ou conteuse apporte son lot de difficultés. Il faut souvent avoir un autre métier afin d’arrondir les fins de mois, comme Jérome Bérubé qui est éclairagiste pigiste. Aïni Iften explique qu’en France, cette réalité est différente grâce au système d’aide sociale nommé « intermittence du spectacle » qui permet aux artistes de vivre des arts de la scène.

Cependant, ici comme ailleurs, la plus grande difficulté est de se faire connaître. Olivier de Robert précise que « pour être connu des auditeurs, il faut prendre son bâton de pèlerin et aller partout où il y a des oreilles. » Selon lui, les publicités sont pratiques, mais le bouche-à-oreille est plus efficace. Il ajoute que « si l’on veut voyager et parler à des oreilles plus lointaines, le numérique est un outil utile comme l’a été autrefois le papier. »

Le conte à l’ère du numérique

La majorité des artistes du milieu perçoivent la toile comme « un apport nécessaire [à] la visibilité », comme le mentionne Aïni Iften. Olivier ajoute qu’il s’agit d’un « moyen quasi incontournable pour se faire connaître à grande échelle. »

Jérome Bérubé, qui est  originaire de la Côte-Nord, est convaincu « qu’il y a une place pour le conte sur Internet » bien qu’elle ne soit pas réellement prise pour l’instant. Il cite en exemple le groupe d’artistes La Quadrature qui a fait un balado nommé Contes indociles et ajoute qu’il aurait comme projet de lancer sa chaîne YouTube de contes.

Autres temps, autres moeurs

Le numérique n’a toutefois pas toujours été perçu comme un outil pour les conteurs et les conteuses. Au début du XXe siècle, le conte a souffert de l’arrivée de la radio alors que l’exode rural et l’urbanisation lui avaient déjà porté préjudice. L’avènement de la télévision en 1950 lui a même été quasi fatal. Les gens se regroupaient autour de la boîte à images le dimanche soir plutôt qu’autour d’une personne racontant une histoire. « Tout le spectacle vivant a pris un gros coup sur la tête parce que le numérique a pris tout l’espace disponible », déclare Olivier.

Vers 1970, le mouvement artistique scénique nommé le « renouveau du conte » est apparu, donnant un second souffle à cet art en créant des festivals tels que le Rendez-vous des Grandes Gueules à Trois-Pistoles ou encore le FICM. Cette année, plus de soixante artistes participent à l’événement fondé en 1993.

Le Bar le Jockey offre des soirées d’histoires tous les dimanches à 19h30.

Photo FLORIAN CRUZILLE MONTRÉAL CAMPUS

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