Présenté au Festival du nouveau cinéma le 18 octobre dernier devant une salle comble, Antigone, plus récent long métrage de Sophie Deraspe inspiré de la pièce de Sophocle du même nom, est une oeuvre poignante, moderne, mais surtout nécessaire.
Antigone transporte le public au coeur du drame d’une famille algérienne immigrante dont les membres n’ont pas leur citoyenneté canadienne. Après que son frère aîné Étéocle ait été tué par la balle perdue d’un policier, Polynice, l’autre frère d’Antigone, se fait emprisonner. Première de classe, la jeune adolescente sera prête à tout pour sauver ses proches. Au grand désarroi de sa soeur Ismène, elle tentera de prendre la place de son frère en prison.
Si la réalisatrice Sophie Deraspe (Les loups, Le Profil Anima) s’inspire pour son cinquième long métrage d’un texte écrit il y a près de 2500 ans, son récit reste d’une actualité brûlante. À une époque où l’immigration est une question clé, Antigone, qui a d’ailleurs remporté le prix du meilleur long métrage canadien au Festival international du film de Toronto en septembre dernier, est une oeuvre essentielle.
Bien que le début du récit soit décousu et saccadé — en raison des multiples scènes très courtes qui se déroulent dans des lieux différents et qui ne font pas avancer l’histoire —, le tout se replace dès les prémices des péripéties de la jeune fille. Le film est également ponctué de flash-back qui donnent une certaine dynamique au récit, même si certains de ceux-ci sont un peu faciles. Quelques plans tournés au nord de l’Algérie, dans la commune de Ouzellaguen, permettent au public de mieux saisir ce qui a uni la petite famille dans le passé.
Entre maintenant et ailleurs
L’oeuvre possède presque tout d’une tragédie grecque sauf pour ce qui est du texte : les dialogues sont bien loin de ressembler aux originaux. Les échanges et le style de langage utilisé campent adéquatement le récit dans son époque contemporaine.
Pourtant, lorsque Antigone se fait questionner par la police, par exemple, les discours deviennent plus solennels, le ton plus grandiose. Ce type de dialogue est cependant exploité avec parcimonie, de sorte que le spectateur ou la spectatrice n’a pas l’impression qu’il y a une cassure entre les scènes. Quand le public comprend notamment que la psychiatre est en fait son oracle, il lui pardonne son discours lent et théâtral.
Autre adaptation ingénieuse : les jeunes sur leurs médias sociaux remplacent le coryphée, ce chef de choeur incontournable dans la tragédie ou la comédie grecque. Tandis que certains s’indignent du sort d’Antigone et partagent des photos en signe de camaraderie, d’autres désapprouvent son geste et lui lancent des messages de haine. Lorsque ces choeurs arrivent, le rythme s’accélère pour faire place à une rafale de clichés et de vidéos.
Malgré qu’elle ait écrit une histoire tout à fait bouleversante, la cinéaste de 45 ans a réussi à y insérer des moments cocasses bien choisis, mais aussi des exemples de solidarité d’une grande tendresse. Comme ces adolescents et adolescentes, le public a envie de rire du système de justice qui ressemble à un dédale insurmontable.
Dans une performance qui touche droit au coeur, Nahéma Ricci en Antigone est une révélation tant son jeu est sincère. D’ailleurs, plusieurs plans très rapprochés lors de scènes marquantes attisent le sentiment de proximité avec cette jeune femme rebelle. Sa soif de justice si brillamment exécutée, le public la sent jusqu’aux os. En fin de film, la catharsis prend aux tripes les spectateurs et les spectatrices.
Lors des dernières minutes du film, le public retient sa respiration : Deraspe réserve-t-elle le même destin tragique à sa protagoniste que Sophocle dans son texte ? Il faudra voir le long métrage qui représente le Canada dans la course aux Oscars dans la catégorie internationale pour le savoir.
Ce drame touchant prendra l’affiche dans plusieurs cinémas du Québec dès le 8 novembre prochain.
Photo fournie par le FNC
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