Défoncer des portes closes

Quoi de plus redondant pour des universitaires que de se buter aux portes closes du gouvernement après avoir envahi les rues par milliers, au rythme coordonné des tambours et des trompettes ?

Aux yeux du collectif La planète s’invite à l’université, ce scénario semblait être scripté lors de sa rencontre avec le ministre de l’Environnement, le 23 mars dernier. L’indifférence quasi volontaire du parti au pouvoir face à des mouvements portés à bout de bras par la jeunesse connaissait son plus récent épisode.

Pourtant, le 15 mars, une marée d’étudiants et d’étudiantes déferlait dans les rues de Montréal au nom de l’urgence climatique. Sur la crête de cette vague lucide de changement, il y avait de l’espoir, beaucoup d’espoir. Cette journée-là, La planète s’invite à l’université avait réussi un tour de force qui saura se tailler une place dans les livres d’histoire : son travail dans les tranchées a permis le débrayage de près de 150 000 étudiants et étudiantes de tous les niveaux, partout au Québec.

La table de la rencontre avec le ministre de l’Environnement du Québec, Benoit Charette, dans un pavillon de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), ne permettait pas d’accueillir toutes ces forces vives. Or, il allait de soi que la jeunesse parlait d’une seule voix.

Le ministre, lui, n’écoutait visiblement que d’une seule oreille, bien qu’il a affirmé que « le canal de communication [était] ouvert ». « La rencontre s’est déroulée exactement comme le collectif l’avait prévu. On nous dit que les plans vont venir dans le futur; on nous dit que les projets à venir seront verts. […] Bref, on nous répète les mêmes choses, désuètes depuis des années », avait quant à lui déclaré Louis Couillard, co-porte-parole du collectif étudiant.

Le premier budget déposé par la Coalition avenir Québec (CAQ), marqué par des investissements massifs dans plusieurs services – il est important de le préciser –, n’a accordé qu’une infime place à la transformation écologique. L’époque dans laquelle nous vivons impose plus qu’un lent virage vers l’électrification des transports, faible remède du dernier budget lorsque jumelé à des plans de développement du système routier et du polluant troisième lien entre Québec et Lévis.

Enfin, c’est le scénario de l’éternelle remise aux calendes grecques du passage à l’action en matière de lutte contre la crise climatique qui a été servi à la jeunesse québécoise. Il n’est pas surprenant que la déception des étudiants et des étudiantes soit palpable. Ils et elles, en à peine quelques semaines de préparation, ont sous la main un plan plus détaillé que celui de la machine gouvernementale du premier ministre François Legault.

Le collectif La planète s’invite à l’université émet deux principales demandes aux gouvernements : l’établissement d’un programme d’éducation à l’écologie et à la crise climatique et l’adoption d’une loi forçant l’atteinte des cibles formulées par le Groupe d’experts intergouvernemental sur le climat pour limiter le réchauffement planétaire à 1,5 degré Celsius d’ici 2050.

Pouvons-nous accuser les étudiants et les étudiantes de ne pas avoir fait leurs devoirs ? Ce mouvement pour la défense du climat se base sur un rapport scientifique mondial, dont les qualités sont indéniables. Le consensus au sein de la jeunesse est fort. Il s’est même traduit dans cette image qui vaut bien plus que mille mots : lors de la prise de photo officielle à la suite de la rencontre entre le ministre de l’Environnement et le collectif

La planète à l’université – dont les membres cachaient à peine leur mécontentement – des centaines d’élèves du secondaire manifestaient avec enthousiasme de l’autre côté du hall vitré.

Le préjugé de la jeunesse immobile et insensible est depuis longtemps caduc, du moins depuis le mouvement étudiant de 2012, le plus important jamais recensé au Québec. Cette généralité infondée, quoique pratiquement évacuée de l’imaginaire populaire, fait maintenant place à un autre lieu commun, selon lequel jamais les jeunes n’auront la force de porter des causes de A à Z, de les mener à terme.

Au Québec, force est de constater que peu d’initiatives sociales échappent au cynisme. Le cynisme, qui n’est pas la saine confrontation d’idées divergentes, est le refus systématique d’admettre qu’il puisse exister des discours revendicateurs valables et qui se basent sur des éléments tangibles, comme la science.

Le 23 mars, le ministre Charette s’est dit convaincu de « convenir d’actions qui vont reposer sur la science ». Or, l’application de ces « actions » a déjà accumulé du retard. La réflexion du gouvernement semble s’amorcer pendant que des dizaines de milliers de jeunes descendent dans la rue, alors qu’elle aurait dû être limpide avant même le déclenchement de la dernière campagne électorale. Qu’à cela ne tienne, pouvons-nous briser des promesses jamais lancées ?

Fallait-il être surpris de voir le gouvernement de la CAQ prêter à peine une oreille attentive aux porte-paroles du mouvement La planète s’invite à l’université ? La réponse est malheureuse, car elle se répond par la négative.

Et même si « le canal de communication » du ministre de l’Environnement Benoit Charette est ouvert, il n’engendre que très peu de résultats. Pour se faire entendre, la jeunesse devra véritablement se préparer à défoncer les portes closes du gouvernement caquiste.

illustration : FLORIE MARLEAU MONTRÉAL CAMPUS

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *