Un rare apprentissage du français chez les travailleurs saisonniers

Les travailleurs saisonniers qui quittent l’Amérique latine pour passer quelques mois dans les champs québécois montrent peu d’intérêt à apprendre le français, une situation qui peut causer de graves problèmes de mésentente, constatent les résultats préliminaires d’une étude.

Entre janvier et mai 2018, près de 10 800 travailleurs étrangers, pour la plupart d’origine mexicaine ou guatémaltèque, avaient déjà foulé le sol québécois, selon les données de la Fondation des entreprises en recrutement de main-d’œuvre agricole étrangère (FERME).

Principalement en raison de problèmes liés à la barrière linguistique, 18 travailleurs saisonniers sont morts sur leur lieu de travail entre 2012 et 2017, selon des chiffres de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST). Dans une étude menée depuis 2017, la chercheuse en linguistique à l’Université Concordia Annie Bergeron a tenté de mettre en lumière l’apprentissage du français dans les fermes québécoises.

« La mort, c’est le pire, mais il y a beaucoup de [mésentente] par rapport aux sous-entendus du langage et à la culture, explique Mme Bergeron. Par exemple, ils vont se faire dire qu’ils peuvent aller à la maison se reposer, mais ils vont le prendre très mal, comme s’ils ont été renvoyés à la maison parce qu’ils ne travaillaient pas assez bien. »

« Il leur manque tous les sous-entendus du langage, ce qui fait qu’ils sont très petits dans leurs culottes tout le temps, toujours stressés », poursuit-elle.

Volonté peu présente

Les douze travailleurs saisonniers interrogés par la chercheuse souhaitent apprendre le français afin d’« immigrer au Québec », d’« être un meilleur employé » ou encore de « comprendre les autorités ». Ils montrent cependant un désintérêt progressif au fil des années et même au cours de la durée d’un contrat.

Aux Fermes du soleil, qui emploient des travailleurs latino-américains depuis un quart de siècle, seule une infime portion des employés ont décidé d’apprendre le français. « Il y a à peu près 0,05 % des travailleurs qui ont démontré un quelconque intérêt pour essayer de l’apprendre », observe le directeur des opérations des Fermes, Marc-Alexandre Chenail.

Les difficultés grammaticales et les multiples expressions peuvent être un facteur de découragement. « Si une personne est dans une voiture et qu’elle tombe en panne, elle peut demander de l’aide, observe un travailleur cité dans l’étude. [Mais moi], je ne comprends rien, comment peut-on m’aider ? Oui, c’est important, mais je ne sais pas par où commencer. »

Certains préfèrent même se tourner vers l’anglais. « Le français ne sert pas au Guatemala. L’anglais me donne plus d’opportunités de travailler dans des entreprises étrangères, de voyager », admet un autre participant.

Souvent ralentis par un manque d’éducation, même dans leur langue natale, les travailleurs éprouvent de nombreuses difficultés à saisir les bases de la langue de Molière, ajoute M. Chenail.

Pour sa part, l’organisme FERME établit un portrait plus positif de la situation sur le terrain. « On comprend que l’intérêt commence à se développer. Les gens manifestent leurs intentions d’apprendre le français parce qu’ils reviennent d’année en année », affirme la directrice des communications de FERME, Natalie Pouliot.

La faute à qui ?

Le gouvernement du Québec a mis en place en 2018 des programmes de francisation pour les travailleurs saisonniers, rappelle Natalie Pouliot. « Les entreprises qui emploient de la main-d’œuvre étrangère peuvent faire des demandes pour installer de la formation, affirme-t-elle. Quelques employeurs partout sur le territoire québécois se sont prévalus de cette possibilité-là, mais très peu. Très peu parce que la plupart des travailleurs viennent ici quelques mois. »

Les travailleurs sondés par Annie Bergeron estiment que ce serait plutôt l’employeur qui devrait faire l’effort d’apprendre la langue des employés afin d’éviter des accidents. « Ils me disaient : “ce sont [les employeurs] qui ont de l’argent, c’est à eux de faire les efforts, parce que nous, on n’a pas d’argent” », explique la chercheuse.

La majorité des directeurs des Fermes du soleil ont pris les choses en main et décidé d’apprendre l’espagnol. « La communication est sur les épaules de l’employeur. Les travailleurs étrangers ne viennent pas ici pour apprendre le français, ils viennent ici pour travailler et faire de l’argent pour leur famille », lance Marc-Alexandre Chenail.

photo: CAMILLE PAYANT MONTRÉAL CAMPUS

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