Les orchestres classiques québécois peinent à diversifier leur répertoire et la provenance de leurs musiciens, et ce, malgré toute la bonne volonté des maestros.
Au Québec, la musique classique écoutée dans les orchestres est issue d’un héritage occidental. Ailleurs dans le monde, de nombreux pays ont des scènes classiques nationales qui puisent dans leur imaginaire culturel respectif. Ces compositeurs et musiciens cherchent à se détacher de la culture occidentale en faisant la promotion de leur propre musique.
Or, il est rare que les pièces internationales, composées avec des langages musicaux uniques, soient interprétées par les grands orchestres de la province. Bien sûr, certains orchestres comme l’Orchestre Métropolitain de Montréal dérogent à cette tendance pour permettre au public de s’ouvrir à d’autres sonorités.
Les professeurs de musique de la province cherchent à faire jouer de la musique intéressante et différente à leurs étudiants. Néanmoins, les compositeurs de certains pays n’ont rien écrit qui s’inspire de la tradition de la musique classique. « Je n’ai jamais rien trouvé en Afrique », explique le directeur musical de l’école secondaire Joseph-François-Perrault, Éric Levasseur.
Les professeurs de musique classique doivent instruire et armer les étudiants pour qu’ils puissent poursuivre leurs études dans les conservatoires et même les grands orchestres du monde. Or, un musicien classique, de son éveil musical à sa consécration dans un orchestre symphonique, sera bercé par de grands compositeurs encore adulés aujourd’hui, comme Mozart, Beethoven, Tchaïkovski et Chopin, pour ne nommer que ceux-là. Seul bémol : tous ces hommes sont exclusivement issus de la culture occidentale.
« Je comprends tout à fait le contexte historique dans lequel les grands compositeurs ont vécu, alors ça ne me dérange pas que ce soit eux que nous jouions », affirme l’étudiante au Conservatoire de musique de Montréal Chudyanna Bazile, une jeune trompettiste d’origine nigériane et haïtienne.
Le cas de Joseph-François-Perrault
Ce ne sont pas seulement les compositeurs qui sont majoritairement blancs. C’est aussi le cas des musiciens dans les orchestres. « Il arrive souvent que les musiciens de couleur ne cognent pas nécessairement à la porte de la musique classique. Il ne faut pas croire qu’ils sont refusés dans les orchestres », explique le compositeur Gabriel Dharmoo, réputé pour son oeuvre qui oscille entre les musiques traditionnelles du monde et la culture musicale occidentale.
Située dans le petit Maghreb à deux pas de la rue Jean-Talon, l’école secondaire Joseph-François-Perrault est notamment reconnue pour son programme de musique prestigieux et sa grande diversité ethnique. Pourtant, malgré la présence de nombreux adolescents aux origines diverses, dont une majorité arabophone et haïtienne, il n’y a que très peu de minorités visibles dans l’aile de musique, rapporte M. Levasseur.
« Je ne sens pas que la musique classique est valorisée dans le quartier Saint-Michel », souligne-t-il. Avant d’être acceptés au programme d’arts-études, les jeunes baignent généralement déjà dans la musique depuis leur enfance.
Entreprendre des études musicales demande un encadrement et un encouragement de la part de la famille. À l’inverse, un enfant peut facilement perdre son amour pour la musique à force de s’infliger des heures de pratiques, qui peuvent devenir un véritable martyre.
« Mon père me cachait la guitare pendant un mois! Quand j’avais 10 ou 11 ans, c’était ça ma punition », s’exclame le Colombien Cristian Sierra, qui termine ces temps-ci sa technique en guitare classique au cégep de Saint-Laurent. Il raconte que sa famille ne valorisait pas sa passion pour la guitare même si son père en jouait déjà. « Dans mon pays, c’était mal vu. Les gens trouvent que la musique est trop bohème. Ils croient même que le peu d’argent qu’on va gagner sera dépensé en alcool et en drogues », dit-il.
En 1987, le sociologue Pierre Bourdieu a illustré, dans la revue Actes de la recherche en sciences sociales, que les goûts musicaux d’un individu sont souvent fondés sur sa classe sociale. La musique classique devient alors une frontière séparant le « monde bourgeois » à celui de la « populace ». Or, le quartier Saint-Michel est habité par une majorité de gens défavorisés. En 2016, Statistique Canada a dénombré que 42 % de la population avait gagné moins de 20 000 dollars durant l’année.
Néanmoins, il y a plus d’étudiants racisés dans l’autre programme de musique offert par l’école Joseph-François-Perrault, soit celui de concentration. La concentration musique se distingue notamment par des pratiques moins intensives et par le peu de répétitions à l’extérieur des heures de cours.
Une belle harmonie
Chudyanna et Cristian ne se sentent pas opprimés dans leur milieu, où les minorités visibles sont peu représentées. Ils rappellent avec bonheur que le concept d’audition à l’aveugle existe pour combattre les préjugés sociaux, ethniques et sexistes. Le concept est simple : les juges, au moment de la prestation, sont placés dos au musicien. Les grands orchestres américains ont adopté la formule dans les années 70 pour réduire les inégalités liées au genre.
« Militer pour la diversité culturelle se produit beaucoup plus au théâtre et en danse, puisque les corps sont en action », indique Gabriel Dharmoo, réaffirmant le peu de diversité culturelle dans les orchestres.
photo : MONTRÉAL CAMPUS
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