Audrée Wilhelmy : une force enracinée

L’écrivaine québécoise Audrée Wilhelmy a lancé le 8 mars dernier l’édition française de son troisième roman, Le corps des bêtes. Rencontrée autour d’un thé à l’hôtel des Saint-Pères, au coeur de Paris, la Carougeoise de 32 ans s’illustre grâce à son univers ludique et sa poésie organique.

« J’ai toujours eu besoin de l’écriture pour m’exprimer, annonce d’entrée de jeu Audrée Wilhelmy. Mon analyse du monde passe par la création et la fiction. » Son univers fictif est tout ce qu’il y a de plus fantasque. Dans Le corps des bêtes, tout dérange, et les codes sociaux ne sont en aucun cas respectés. « J’aime soulever des questions et bousculer le lecteur en présentant des choses problématiques », précise l’auteure.

L’action du roman prend place au coeur de ce qu’on s’imagine être une nature inapprivoisée. Mie, une jeune fille ayant vécue loin de la civilisation, a appris les codes sociaux en observant cet environnement hostile. Prisonnière de la nature qui l’entoure, elle découvre la sexualité avec un rapport très organique au monde. « Les Français n’ont pas le même rapport à la sexualité, fait remarquer l’éditrice d’Audrée Wilhelmy, Chloée Deschamps. Audrée est particulièrement libre dans son expression de celle-ci et elle la rapporte à une forme de bestialité. »

Dompter le sauvage

À travers la fiction, l’écrivaine s’amuse à amplifier l’environnement dans lequel elle a grandi, en périphérie de la capitale québécoise. « Il y avait un bois derrière chez nous et mon père nous emmenait souvent nous promener sur le bord du fleuve, raconte-t-elle. C’était civilisé et sécuritaire, pas comme dans l’histoire. »

Plus jeune, Audrée Wilhelmy était terrorisée par la nature. « Tout me sollicitait beaucoup et je pouvais devenir hystérique en la simple présence d’une abeille », se remémore l’auteure. En écrivant sur la nature, elle se la réapproprie et l’apprivoise. « Je suis devenue hyper sensible aux environnements naturels et je sais maintenant ce que je veux voir, sentir et entendre », explique-t-elle.

C’est ce qui lui permet de décrire avec autant de précision les lieux qu’habitent ses personnages. « Elle a une façon d’écrire bien à elle et sa langue est travaillée par son origine et par le fait que ce soit quelqu’un qui travaille beaucoup sur les mots et les lexiques, explique Chloée Deschamps. C’est un univers autonome et indépendant entièrement issu de son imaginaire auquel elle donne vie comme à une communauté. »

La figure de la Mère Nature

Le désir de l’auteure de créer des personnages de femmes fortes et singulières est étroitement lié avec sa fascination pour la nature. « Dans la grande narration de l’histoire, la femme a toujours été la protectrice de la nature et même parfois son incarnation. Les hommes, au contraire, sont associés à la domestication, à la productivité et au contrôle de cette nature », soutient-elle.

Dans chacune de ses oeuvres, Audrée Wilhelmy se plaît à faire régner ses héroïnes. « Mes personnages féminins subissent beaucoup de choses, mais ne sont jamais des victimes. C’est un discours de résilience, en quelque sorte », souligne-t-elle.  

Très proches de la nature, ses protagonistes fascinent par leur maîtrise de celle-ci. « Ce qui m’intéresse, ce sont les femmes qui ont une manière d’habiter le monde qui leur donne une grande puissance qui fait qu’elles ne sont pas atteintes par ce qui s’y passe », ajoute l’auteure.

« Actuellement, on sent que les femmes se réveillent. En tout cas, se re-réveillent. On est dans un mouvement », lance-t-elle. Malgré son intérêt pour le féminisme, l’écrivaine dit ne pas avoir le tempérament militant et préfère ne pas associer son écriture à un combat. « J’aurais horreur de me retrouver dans un tourbillon médiatique, explique-t-elle. J’explore ces enjeux-là, mais à travers la création. »

Selon Chloée Deschamps, l’existence de ces héroïnes féminines fait la force de la littérature de sa collègue. « Le fait qu’elle étudie ces femmes et qu’elle leur donne la parole sans que ce soit politique, c’est peut-être le plus beau des féminismes », précise-t-elle.

Un plongeon

Celle qui a passé plusieurs semaines en résidence d’écriture à Rome pour travailler sur Le corps des bêtes considère l’isolement comme nécessaire lors de l’écriture d’un roman. « C’est une drôle de période, celle de la rédaction. Je compare ça au moment d’attente à l’aéroport. Ça donne l’impression d’être dans un néant temporel. C’est épuisant et presque schizophrénique », raconte Audrée Wilhelmy.

Pour arriver à tout déconstruire comme elle le fait, il faut définitivement s’immerger dans son monde. « Mon univers littéraire est un lieu intérieur, donc la plongée est d’autant plus intense », confie-t-elle.

 

photo : GRACIEUSETÉ DE SANDRA LACHANCE

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