Une place infime occupée par l’orgue dans l’actuelle industrie musicale, une fréquentation des églises en diminution constante, un manque d’argent pour couvrir l’onéreux entretien du patrimoine actuel: les prétextes sont multiples pour qui veut bien annoncer la mort de la facture d’orgues dans la province. Pourtant, les artisans québécois tirent leur épingle du jeu en visant de plus en plus le marché international et le milieu profane.
Il s’agit d’une évidence banale: pour assurer sa relève, il faut avant toute chose garantir sa survie. Est-il viable pour les facteurs d’orgues de déployer des efforts à trouver de nouveaux candidats alors que la commande d’instruments neufs au Québec se fait rare? Ici se trouve une clé majeure de la question. Le marché, chez les facteurs d’orgues québécois de plus grande taille, ne se trouve plus au Québec depuis plusieurs décennies déjà.
«Il y a eu des temps importants pour la production locale au Québec, maintenant, il y en a moins, note le directeur artistique de l’entreprise Casavant Frères, Jacquelin Rochette. À part faire l’entretien des instruments, les grands chantiers sont rares. Si je regarde cette année, l’essentiel de la production va aux États-Unis et en Asie.» Sur la page web de l’entreprise Casavant, la liste des instruments fabriqués depuis le début des années 1980 recense 122 orgues, dont 94 destinées aux États-Unis contre 13 conçues pour des établissements canadiens.
Une situation que vit également Denis Juget, facteurs d’orgues copropriétaire de la petite entreprise Juget-Sinclair. Pour lui aussi, l’essentiel des commandes est toujours venu en forte majorité des États-Unis, le marché québécois étant depuis plusieurs années réduit aux travaux de restauration.
Fernand Létourneau, propriétaire des Orgues Létourneau à St-Hyacinthe, estime pour sa part que près de 90% des orgues neuves qu’il fabrique sont destinées à l’étranger. Le Canada est «un marché qui commence à être saturé», croit-il.
S’adapter pour rester au Québec
Cette présence internationale accrue des principaux facteurs québécois a mené des plus petits joueurs à reprendre des mandats de restauration dans la province. «Les plus gros joueurs se concentrent vraiment à l’extérieur, donc laissent le terrain ici vacant, observe Jean-Félix Bellavance, propriétaire des Ateliers Bellavance. Notre structure de petite entreprise nous permet d’être compétitifs. Je peux donc offrir de la restauration ou de l’aide dans un déménagement d’instrument à moindres frais aux paroisses d’ici.»
M. Bellavance croit qu’à quelques exceptions près, le marché québécois ne renouera pas avec les commandes d’instruments neufs. Il est d’avis que même les contrats de restauration sont limités. «Des instruments mécaniques massifs au Québec, il n’y en a plus beaucoup, remarque Jean-Félix Bellavance. Et des instruments neufs, c’est pratiquement zéro et une barre ! Il y a eu le grand orgue Pierre Béique de l’OSM, celui du Palais Montcalm à Québec, mais dans les prochaines années, je vais vous dire franchement, je les cherche fort !»
Ne disposant pas des vastes installations, de la grande capacité de production et des hautes ambitions internationales des plus importants facteurs d’orgues, l’artisan tente de diversifier son offre dans la province, en fabriquant par exemple des clavecins ou d’autres petits instruments moins communs. «Je suis conscient que nous sommes dans un marché en forme d’entonnoir et je ne peux pas seulement me concentrer sur la facture d’orgues, reconnaît-il. On a des clients qui nous commandent des instruments plus aventuriers, c’est le genre de trucs que les grandes entreprises ne pourraient pas se permettre et que nous pouvons faire sans être à perte avec notre petite taille.»
L’avenir symphonique de l’orgue québécois
Les facteurs d’orgues consultés refusent d’associer la fréquentation des églises qui dégringole à une chute de leur profession. Ils estiment au contraire que l’orgue reprend du galon dans l’univers orchestral. Les deux derniers instruments neufs que Casavant a produits pour des clients québécois ont d’ailleurs été destinés à des salles de concert ; le Palais Montcalm de Québec et la Maison symphonique de Montréal. «On était touchés dans les églises au niveau de sa capacité d’expression dans la liturgie, mais on commence de plus en plus à saisir qu’il a aussi une capacité d’expression dans le monde de la musique», remarque Jacquelin Rochette.
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