Portraiturer : l’art de la connivence

Des tableaux de la Renaissance flamande aux articles journalistiques d’aujourd’hui, saisir et témoigner l’essence de l’autre, peu importe le médium, est un besoin constant et vital. Réaliser le portrait d’une personne est un art à part entière qui demande clairvoyance et sagacité. C’est un talent difficile à posséder.

Le mot « portrait » vient de l’ancien français « portraire » qui signifie « dessiner ». Il fait partie de la même famille étymologique que le verbe « traire », qui provient du latin « trahere » qui fait référence aux actions « tirer » et « traîner ». Pardonnez le lien douteux, mais un portrait, c’est un peu comme traire le lait d’une vache: on cherche à tirer et mettre au grand jour ce qui se trouve au plus profond d’un individu.

Hélas, pour y parvenir, ça prend de l’adresse! Une habileté qui se développe avec l’expérience, mais au-delà de cela, il faut faire preuve d’intuition et de finesse d’esprit, préalablement acquises. Un cadeau qui n’est offert qu’à une poignée de personnes. Parce que le portrait, c’est avant tout un échange, une conversation – aux sens propre et figuré – entre deux humains. Le premier souhaite s’épancher, le deuxième recueillir la sève. C’est une entente tacite entre l’intervieweur et l’interviewé.

Celui qui permettra d’en faire un moment réussi demeure le journaliste. C’est sa responsabilité. Au préalable, il doit se questionner, enquêter sur la personne qu’il rencontrera et voir au travers des lignes : que peut-il raconter qui n’a jamais été dit? Il doit capturer cet instant magique qui fera de la tirade de son interlocuteur une histoire passionnante plutôt que le résumé d’un CV.

C’est d’ailleurs là où le bât blesse : peut-être est-ce une question de préférences, mais beaucoup de portraits n’esquissent que le moi d’une artiste, d’un sportif, d’une entrepreneure. Il faut creuser jusqu’aux réminiscences de l’inconscient pour au final offrir un texte qui tient compte des sentiments, des émotions, des perceptions d’un individu si singulier puisqu’il mérite qu’on s’y attarde. Ça prend de l’écoute et de la patience. Bien entendu, tout est une question d’interprétation, qui naîtra sous la plume du portraitiste, comme les prolifiques Jean-Benoît Nadeau et Julie Barlow.

Mettre en forme le tête-à-tête

Après avoir fait ses recherches, préparé ses questions et rencontré l’intervenant et les membres de son entourage, l’heure est à la rédaction. Les idées doivent s’organiser et une ligne directrice doit émerger : pourquoi cette personne est-elle intéressante actuellement? Le défi est de produire un judicieux mélange de contexte biographique, d’éléments d’ambiance, d’analyse et de compte-rendu des pensées de l’interviewé. Le tout doit s’imbriquer à merveille et faire en sorte que le lecteur soit attentif du début à la fin. Le portrait, c’est la même chose qu’un bon roman : on doit nous raconter une histoire qui nous captivera. Tout simplement. (Même si cela s’avère en réalité être une tâche très complexe.)

Une bonne histoire doit naturellement être véridique et conforme à la personnalité, à la psychologie et au parcours du sujet. D’où l’importance de la rencontre. Quoique certains sont capables de saisir l’essence d’une personne sans même l’avoir rencontrée. Comme la journaliste américaine Janet Flanner, qui a écrit pour le New Yorker, en 1936, un portrait d’Adolf Hitler…

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