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Quelque vingt bars montréalais ont accueilli, en janvier dernier, des poètes venus livrer devant public leurs écrits souvent intimes et touchants. Des soirées artistiques accessibles où tant les poètes aguerris que les néophytes partagent la scène pour leur instant de gloire.
Christian L. Ducharme-Gauthier organise depuis près de deux ans, au Bistro de Paris, la Messe poétique, une soirée de type « micro libre » pendant laquelle des poètes, des slameurs et parfois même des chanteurs prennent montent sur les planches. « Je veux démocratiser autant que faire se peut la scène », explique-t-il.
Celui qui porte aussi le chapeau d’animateur souhaite « ouvrir la porte à ceux à qui on la ferme ». Il raconte recevoir principalement des artistes issus de la scène poétique émergente, ceux qu’il surnomme les incompris. « Des fois, il y a des bourgeois, mais on ne les refusera pas », dit-il en rappelant que tant qu’il y a du respect, tout le monde est invité.
D’ailleurs, chaque artiste qui souhaite se confesser au micro pourra le faire. « Il n’y a pas de maximum d’inscriptions, souligne-t-il. C’est un micro libre jusqu’à ce qu’il n’y ait plus personne. » La fermeture de l’établissement demeure la seule restriction.
Christian L. Ducharme-Gauthier met l’accent sur le caractère indépendant de ses soirées qu’il orchestre avec son équipe de bénévoles. Selon lui, les rendez-vous poétiques subventionnés, quoique légitimes, n’ont pas la même vision artistique. « On n’essaie pas de faire de l’argent. On n’essaie pas, non plus, de forcer les artistes dans un moule. Ici, on accepte tous les styles », admet-il.
Ce carcan artistique est également dénoncé par Melyssa Elmer, cofondatrice des soirées Vaincre la nuit. Elle raconte, à cet effet, avoir enlevé le terme « poésie » de toutes ses communications. « Les gens dans les milieux littéraires jugeaient nos soirées qui, selon eux, ne sont pas des soirées de poésie. Pour eux, on ne respectait pas les codes poétiques », mentionne celle qui croit qu’une personne qui prend le temps d’écrire un texte peut être, à sa façon, une poète.
Dans ces soirées, organisées au bar le Quai des brumes, toutes les personnes désireuses de s’exprimer au micro sont invitées à le faire. « C’est super aléatoire, décrit-elle. Il y a peu ou pas de poésie dans son sens strict. » Melyssa Elmer préfère ainsi parler de lectures de textes.
Victime de sa popularité, elle explique se fendre le cœur en refusant, chaque mois, des
inscriptions. Contrairement à la Messe poétique, la soirée organisée au sud de
l’artère Mont-Royal invite sur scène un maximum de 20 ou 30 artistes par soirée.
Un art thérapeutique
Les soirées de poésie rassemblent des curieux, qui assistent simplement pour écouter les prestations oratoires. Elles accueillent néanmoins davantage d’artistes qui partagent entre eux ce besoin d’être entendus.
« Une fois rendue sur scène, je me sens tellement vulnérable et forte à la fois, confie Livia Dallaire, artiste âgée de 20 ans qui assiste aux soirées Vaincre la nuit depuis ses tout débuts. Mes mots, qui étaient jusqu’alors fictifs, prennent tout leur sens, leur puissance. » Pour elle, s’exprimer devant public lui permet de se libérer des sujets qu’elle aborde.
La lecture de textes prend alors, pour Livia Dallaire, une forme thérapeutique. « La plupart des sujets dont je traite sont très personnels et émotifs, ajoute-t-elle. Ça me permet de mieux les comprendre et de les accepter. » L’écrivaine souligne le caractère très personnel de cet art dont le public n’est, jusqu’à un certain point, qu’accessoire. « Je n’ai même pas conscience qu’il y a des gens. C’est difficile à expliquer comme sentiment », renchérit-elle.
« Il y a des personnes qui pleurent lorsqu’ils sont sur scène », dit Christian L. Ducharme-Gauthier. L’organisateur des Messes poétiques avoue avoir lui-même commencé à lire ses écrits devant un auditoire dans un objectif thérapeutique. « Tout comme moi, les gens viennent ici pour exorciser leurs mots, leurs émotions », mentionne-t-il.
Melyssa Elmer croit elle aussi que les personnes qui viennent s’exprimer le font d’abord dans une optique personnelle. « Les gens du public, même s’ils sont là simplement pour lire, écoutent », dit-elle. Selon la Montréalaise âgée de 26 ans, l’auditoire respecterait l’artiste sur scène, puisqu’il fait de la projection. « Il sait que son tour viendra », ajoute-t-elle.
« La poésie peut exister seule, croit Amélie Prévost, couronnée championne mondiale de slam en 2016. Elle n’a pas besoin d’être exprimée devant public pour vivre, mais ça lui fait du bien. »
Celle qui participe au segment Combats des mots à l’émission de radio Plus on est de fous, plus on lit sur ICI Radio-Canada Première, croit que les soirées de poésie ont, au-delà de son caractère personnel, une portée collective.
« Dans le contexte social actuel, tout est très lourd, très négatif. Les gens ont besoin de lumière, de beauté », considère-t-elle. Elle juge que l’esprit de communauté est très fort dans ces événements et que la poésie leur permet d’échanger en donnant des sujets de discussion.« On a besoin de jaser et aujourd’hui, c’est difficile de le faire, dit-elle. Dans les médias, les discours sont hyper polarisés. »
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