Mémoires vives

Naviguer aujourd’hui sur le Web 1.0, la Toile de la fin des années 1990, est synonyme de voyage dans une autre dimension. L’esthétisme démodé et archaïque des sites internet de cette époque peut donner l’impression qu’ils sont obsolètes. Une partie de ce qu’on retrouve sur la Toile aurait pourtant intérêt à être archivée, car le Web s’inscrit, selon plusieurs chercheurs, dans une logique patrimoniale.

Parmi les défenseurs de l’archivage numérique figure Joanne Lalonde, une professeure au département d’histoire de l’art de l’UQAM spécialisée dans les pratiques émergentes. « [Le Web] est une forme culturelle aussi valable que la peinture, le cinéma et les arts vivants », affirme l’experte.

Le cinéma avait d’ailleurs été confronté aux mêmes problèmes de légitimité à ses débuts. Les gens ne le percevaient pas comme une forme d’art, mais bien comme une méthode d’archivage des petits moments de la vie, tout comme le Web est perçu comme un outil par ses utilisateurs.

« Le Web 1.0 c’est un portrait de la vie en 1995 », décrit Sylvain Aubé, chargé de projet web au Laboratoire NT2. Dans ce laboratoire uqamien de recherche sur les œuvres hypermédiatiques, une équipe de chercheurs s’affaire à répertorier un maximum d’œuvres d’art web. Ces créations sont considérées comme de l’art par les chercheurs, car Internet leur apparaît comme un canevas aussi valable qu’une toile pour un artiste.

Les œuvres de cette ère du Web étaient conçues à l’époque comme des produits fermés et plus finis, malgré leur esthétique que M. Aubé qualifie de « triviale ». « Comme sujet, lorsque je suis confrontée à une esthétique comme celle-là, j’ai une réaction comme tout le monde : on trouve que c’est vite devenu obsolète ou désuet », renchérit Joanne Lalonde.

Le Laboratoire NT2 a de son côté dressé un portrait exhaustif de 4 000 œuvres qui donnent un aperçu de ce qui constitue l’art web. La première œuvre répertoriée date d’ailleurs d’une époque antérieure au Web 1.0. Il s’agit du premier chatbot de l’histoire, ELIZA, un robot avec qui les internautes peuvent converser depuis sa mise en ligne en 1966.

Pour Joanne Lalonde, toutes les périodes du Web sont intéressantes, car il est important d’étudier l’évolution de toute discipline artistique pour la comprendre. « Les œuvres de 1995 et de 2015 ne sont pas les mêmes. Les plateformes, les esthétiques et les outils sont différents. C’est court, une période de 20 ans pour l’histoire de l’art, mais c’est assez long pour qu’on puisse se faire des époques », précise l’experte en histoire des arts médiatiques. Bien que cette discipline artistique soit très jeune, elle compte déjà quatre phases.

Organiser le chaos

« On ne peut pas tout archiver, mais il faut archiver le plus pertinent », remarque Robin Varenas, chargé de projet au Laboratoire NT2. Cette initiative se concentre sur l’archivage de ce que Mme Lalonde appelle des « symptômes culturels » en leur offrant une première organisation. La professeure qualifie de « symptôme culturel » toute création qui témoigne d’une thématique importante, qui met à contribution un type d’interactivité ou qui représente une innovation pour l’art web.

Selon M. Varenas, l’archivage au Québec se fait de façon très ciblée. Les initiatives se concentrent sur des domaines particuliers, comme l’art dans le cas du Laboratoire NT2. « Des trucs aussi exhaustifs que la Wayback Machine, je n’en connais pas », ajoute-t-il. La Wayback Machine est une archive numérique du World Wide Web établie à San Francisco, en Californie. Elle fait des captures d’écran des sites internet pertinents de partout dans le monde depuis 1996. Ces captures d’écran sont effectuées une centaine de fois par site, par année.

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