Deux poids, une mesure

L’écrasante victoire de Donald Trump aux élections présidentielles américaines du 8 novembre en a surpris plus d’un alors que les analystes prévoyaient une victoire facile de son adversaire Hillary Clinton. Le professeur André Mondoux croit que l’échec du data-journalism a joué un rôle déterminant dans la campagne qui a précédé le scrutin.

Dans cette course hors du commun, les journalistes se sont beaucoup appuyés sur des données statistiques provenant essentiellement de sondages pour leurs analyses. C’est ce qui a causé cette énorme distorsion entre les prédictions et les résultats le jour du vote, expliquait le professeur à l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et chercheur au Centre de recherche interuniversitaire sur la communication, l’information et la société (CRICIS), André Mondoux, lors d’une conférence post-électorale donnée à l’UQAM le 9 novembre. Les données issues d’innombrables sondages menés auprès des électeurs ont confondu les experts, puisqu’elles semblaient représenter des corrélations mathématiques solides.

Ne faisant état que de certaines tendances démographiques et régionales, ces données n’ont pas tenu compte de la particularité de cette élection: celle de constamment défier les conventions et déjouer les pronostics.« L’échec du data-journalisme ne pouvait s’illustrer aussi bien que dans cette campagne à l’issue inattendue et aux variables imprévisibles», affirme André Mondoux.  Le travail journalistique a d’ailleurs été forcé de s’adapter au personnage de Donald Trump, qui a défié les journalistes dès le tout premier jour.

Le phénomène Trump

À la tête d’un mouvement contestataire de l’élitisme, Donald Trump associe tout grand média à l’establishment et le discrédite d’office. Le chargé de cours à l’UQAM et chercheur en résidence de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques Christophe Cloutier-Roy explique qu’on a alors reproché aux journalistes de ne pas avoir pris au sérieux la candidature inusitée du magnat de l’immobilier. M. Cloutier-Roy croit aussi que les médias ont accordé beaucoup trop d’espace médiatique aux frasques du candidat républicain sans critiquer le caractère trompeur, voire mensonger, de ses propos.

Il critique d’ailleurs l’arrivée tardive dans la campagne de la « vérification par les faits » dans les médias américains. Ces derniers auraient développé trop tard une méthode journalistique de confirmation ou de réfutation des affirmations des candidats. Le chercheur est d’avis que cette méthode était nécessaire pour pallier la culture de l’instantané et du spectacle favorisée par Donald Trump que l’on a finalement prise au sérieux.

« Les médias ont retrouvé leur rôle», déclare André Mondoux. Celui de rapporter les faits et de rechercher la vérité. Selon lui, le monde est entré dans une ère politique de « post-vérité ». Trump représente sa propre vérité, sans filtre, qui trouve une oreille attentive chez une clientèle qui est plus réceptive à l’émotion et aux pulsions.

L’équité à tout prix

« Le débalancement créé par le souci de neutralité journalistique des grands médias dans la couverture des deux candidats à la présidence a aussi été critiqué », explique Christophe Cloutier-Roy. Étant donné la fréquence et l’intensité des déclarations de Trump, les médias ont voulu accorder autant d’espace médiatique à Clinton en contrepartie. Ainsi, on a souligné davantage les rares scandales de la candidate démocrate, comme l’affaire des serveurs personnels utilisés pour ses courriels de fonction, que les plus nombreux scandales de Trump.

« C’est donc ce deux poids, deux mesures qui aurait avantagé le candidat républicain en aggravant en apparence la sévérité des scandales de la candidate démocrate », critique Christophe Cloutier-Roy. Les médias, dans une volonté d’équité, auraient malgré eux nourri une bête qui leur a échappé.

Photo: FÉLIX DESCHÊNES MONTRÉAL CAMPUS

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