La représentation des femmes dans les films d’horreur n’a connu qu’une faible amélioration depuis l’apparition du genre dans les années 1920, selon certains experts du milieu. De passage à Montréal dans le cadre de la Grande Soirée Horreur du festival SPASM, les trois actrices du film culte de 1981, Evil Dead de Sam Raimi, ont raconté, 35 ans plus tard, l’expérience qu’elles ont vécue sur le plateau du célèbre film d’épouvante.
Dans le film, le personnage de Cheryl, interprété par Ellen Sandweiss, est explicitement violé par des branches d’arbres. Une scène difficile à tourner, mais surtout difficile à regarder, selon la comédienne. « Quand on m’a montré le scénario, c’était simplement écrit : “Cheryl se fait attaquer par des arbres”, se souvient la femme qui a aujourd’hui 57 ans. Quand nous l’avons tournée, mais surtout quand nous l’avons vue, nous avons été vraiment choquées. Non seulement nous, mais aussi ma famille », se rappelle Ellen Sandweiss.
L’actrice Betsy Baker, qui a joué le rôle de Shelly, se souvient de l’absence de règles morales et de sécurité sur le plateau. « Vous savez, la scène où j’ai une scie à chaîne juste à côté de mon cou ? Elle était véritable et elle était en marche. J’ai été assez folle pour accepter ces conditions », déplore Mme Baker.
« Si l’on s’intéresse aux statistiques, l’horreur est le genre qui donne le plus de premiers rôles aux femmes », explique l’expert en cinéma d’horreur et collaborateur au site web Horreur-web.com, Éric Hebert. Il ajoute toutefois que ce n’est pas nécessairement à leur avantage. Ce serait plutôt « un couteau à double tranchant ».
Les conclusions du professeur en cinéma du cégep André-Laurendeau, François Primeau, vont également en ce sens. « Dans les films d’horreur, les femmes sont souvent présentées comme des objets, mais c’est plus compliqué que ça. Ça dépend toujours des sous-genres », mentionne l’enseignant.
Il cite en exemple les films de type slasher qui apparaissent dans les années 1970, comme Friday the 13th (1980) de Sean S. Cunningham, Texas Chainsaw Massacre (1974) de Tobe Hooper ou Halloween (1978) de John Carpenter. Dans ce sous-genre, les membres d’un groupe, habituellement des jeunes, sont décimés un à un par un prédateur.
« Les femmes, dans ces films, sont plus libérées puisque c’est après la révolution sexuelle. Elles sont souvent en camp de vacances et ne travaillent pas », explique François Primeau. Il raconte que selon l’éthique protestante américaine de l’époque, ces filles doivent « payer » et « être punies ». Dans les slashers, elles sont punies en étant tuées par le prédateur. Mais ce ne sont pas toutes les filles du groupe qui vont nécessairement mourir.
La cinéphile Sophie Brisson, qui possède une collection de plus de 200 films d’horreur, mentionne que dans les slashers, on remarque un modus operandi qu’on dit de la final girl. Le concept « de la dernière fille » met de l’avant un personnage féminin qui survit au monstre à la fin, mais en payant un certain prix.
« On pourrait penser que de faire survivre une fille et de tuer des hommes est positif et valorisant pour la femme. En vérité, c’est beaucoup plus complexe », explique la jeune femme. François Primeau renchérit : «Il y a souvent une femme qui survit au prédateur. Or, elle a souffert beaucoup, elle va être lacérée, elle va être martyrisée», soulève-t-il.
Selon M. Primeau, cette final girl est là comme témoin, pour mettre en garde les femmes, leur dire qu’elles seront punies. Il explique que les films d’horreur, malgré la violence, sont très conservateurs. Il souligne que « ça devient un peu comme une fable de moralité où la femme va devenir la porte-parole de mise en garde envers la sexualité débridée, le refus du travail, le refus du statu quo, de la famille nucléaire, du “reste à la maison, fais des enfants, fais le ménage, le gazon, la petite clôture blanche” et tout », ajoute François Primeau.
Éric Hebert indique toutefois que certains réalisateurs choisissent de faire des portraits plus justes de l’image de la femme dans leurs productions. « Je pense à Wes Craven et à A Nightmare on Elm Street [paru en 1984] qui est assez égalitaire dans son portrait des personnages et à Scream [paru en 1996] qui se fait un plaisir de développer un personnage féminin central fort qui challenge les clichés. Elle revient même dans toutes les suites », affirme-t-il.
Les origines du mal et la (faible) lueur au bout du tunnel
Éric Hébert soutient que la base du problème se trouve dans le fait que seulement 5 % des films d’horreur sortis en salles sont réalisés par des femmes. « Avant les années 2000, les cas de films d’horreur réalisés par des femmes sont presque inexistants. C’est grave », regrette le blogueur.
François Primeau abonde en ce sens. « Les femmes essaient de s’émanciper dans la société, et le cinéma qui est fait par les hommes essaie de les ″remettre à leur place″ », dénonce l’enseignant. « On assiste donc à tout un paradoxe : énormément de protagonistes féminins pour un genre pensé et filmé essentiellement par un gros boys’ club », raconte Éric Hébert.
M.Hébert met en lumière une certaine amélioration, bien qu’elle soit minime. « Dans les dernières années, il y a plusieurs réalisatrices de talent qui émergent dans le genre », soulève le blogueur. Il explique que la difficulté d’obtenir du financement permettrait la multiplication de films indépendants, ce qui permettrait à quelques femmes, mais principalement a beaucoup d’hommes, de se tailler une place dans le milieu.
Photo: RENAISSANCE PICTURES
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