Procédures critiquées à l’aube d’une expulsion définitive

Le comité exécutif de l’UQAM devra prochainement entériner la décision d’expulser à vie un étudiant de l’Université, une sanction recommandée à l’été dernier lors des convocations devant le comité de discipline. En attente de la délibération finale, des professeurs de sciences juridiques critiquent toujours la procédure ayant mené à ces sanctions.

Dans une lettre datée du 13 juin 2016 et dont le Montréal Campus a récemment obtenu une copie, 14 professeurs du département des sciences juridiques de l’UQAM estiment que le comité de discipline, créé le 15 décembre dernier, « [porte] atteinte aux droits fondamentaux garantis dans les chartes canadienne et québécoise ».

Les professeurs estiment que le devoir d’agir équitablement qui « incombe à tout comité de discipline» n’est pas respecté à l’UQAM, notamment car le droit de contre-interroger les témoins, le droit de la représentation par avocat et le droit d’être jugé dans un délai raisonnable, ne sont pas assurés par le règlement régissant le comité disciplinaire. « [Nous] estimons que cette procédure inéquitable est indigne d’une institution comme la nôtre, indique la lettre envoyée aux membres des comités de discipline et de révision. Nous demandons l’abandon des procédures disciplinaires à l’endroit des étudiants pour des gestes censément commis au printemps 2015. »

Un de ces étudiants attend toujours d’être fixé sur son sort. Le 19 juillet dernier, le comité de discipline de l’UQAM a recommandé le renvoi à vie de l’étudiant Hamza Babou, qui avait déjà fait face à la justice au printemps 2015 pour divers chefs d’accusation dont voies de faits et avoir troublé la paix.

Selon un document obtenu par le Montréal Campus et daté de juin 2016, l’UQAM reproche à l’étudiant en sociologie d’avoir enfreint le Règlement 10 sur la protection des personnes et des biens et la Charte des droits et des responsabilités des étudiantes et des étudiants lors d’événements s’étant déroulés les 5 et 23 février 2015, le 27 mars 2015 ainsi que les 1er, 9 et 15 avril 2015.

Comme prévu au Règlement de régie interne n°2, le comité exécutif devra trancher le sort d’Hamza Babou en décidant de suivre ou non la recommandation émise par le comité disciplinaire.

En 2015, une lettre semblable, aussi signée par des professeurs des sciences juridiques, avait été envoyée au conseil d’administration et véhiculait des critiques similaires.

« Le devoir d’agir équitablement s’applique pour tout organisme qui est habilité à statuer sur les droits et les obligations de citoyens », estime la professeure au département des sciences juridiques de l’UQAM et signataire des deux lettres, Lucie Lemonde.

Ce qui fait sourciller la professeure dans le cas de l’étudiant en sociologie, c’est le délai entre les faits reprochés et la convocation devant le comité de l’UQAM. Elle explique que pour des infractions sommaires, telles les voies de fait, le Code criminel du Canada prévoit un délai de prescription d’un maximum de six mois. Or, les faits reprochés à Hamza Babou remontent pour la plupart à un an avant sa convocation.

« Il y a de quoi se questionner à savoir si c’est de l’acharnement contre un étudiant en particulier ou si c’est pour s’en servir comme épouvantail », s’inquiète Lucie Lemonde.

Un avocat nécessaire

Interrogé concernant les revendications émises par le groupe de professeurs, l’avocat spécialisé en droit de la personne Julius Grey est lui aussi d’avis que la présence d’un avocat serait souhaitable « considérant le haut degré de la sanction [recommandée par le comité disciplinaire] ». Pour lui, la possibilité d’une expulsion à vie d’une université nécessiterait « au moins la présence d’un conseiller juridique ». Selon l’article 6.3.1.4 du Règlement de régie interne n°2 de l’UQAM, un étudiant convoqué devant le comité de discipline ne peut être accompagné que par un autre étudiant «provenant normalement de son unité de programme, en tant qu’observateur».

Lors de la dernière comparution d’Hamza Babou devant la justice le 18 avril dernier, dont le Montréal Campus a obtenu la captation audio, la procureure municipale Geneviève Claude Parayre a annoncé avoir discuté avec les responsables de la sécurité à l’UQAM concernant le respect des conditions émises par la Cour supérieure après les actions de perturbation au printemps 2015. « On me dit que monsieur [Babou] est un étudiant tranquille et qu’il respecte ses conditions. Tout se passe correctement […]. Il a lieu de croire que monsieur a compris le message », souligne-t-elle. Me Claude Parayre a donc suggéré « une sentence suspendue accompagnée d’une probation d’une durée d’un an » pour une partie des accusations ainsi que diverses heures de travaux communautaires pour d’autres. Hamza Babou devra respecter un ensemble de conditions, sans quoi il pourrait devoir retourner en cour et se voir imposer la peine initialement imposée.

La porte-parole de l’Université, Jennifer Desrochers, n’a pas voulu commenter le dossier. En juin dernier, elle avait insisté que les actions reprochées aux étudiants jugés devant le comité de discipline n’étaient pas à prendre à la légère. « Les gestes qui sont reprochés sont inacceptables. On parle notamment de voies de fait et d’agressions. Certaines personnes font également l’objet de poursuites criminelles », avait-elle déclaré. La porte-parole avait toutefois refusé de commenter les dossiers individuels qui sont confidentiels.

« On joue avec l’avenir d’une personne », rappelle Lucie Lemonde. Elle souligne que les professeurs signataires se sont également portés volontaires pour rédiger une nouvelle mouture du règlement qui encadre le fonctionnement des comités disciplinaire et de révision de l’UQAM.

 

– Avec la collaboration de Carl Vaillancourt

Photo: Marissa Groguhé

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