Ils ont les mains dans la terre et les pieds sur le béton. Les agriculteurs urbains montréalais se font les porte-étendards de transformations économiques et environnementales, mais également sociales, sous des angles parfois insoupçonnés.
Après avoir exploité les thèmes de la résilience et de l’autosuffisance lors de ses éditions précédentes, l’École d’été sur l’agriculture urbaine de l’UQAM mettra l’accent du 15 au 19 août sur la transformation sociale importante à laquelle peut mener le reverdissement des villes. «La thématique allait de soi cette année, puisque nos activités vont se dérouler juste après le Forum social mondial et nous voulions faire le lien avec cet événement majeur à Montréal», explique Éric Duchemin, professeur à l’Institut des sciences de l’environnement de l’UQAM et co-fondateur de l’École.
Outre les panels et conférences grand-public, destinés à susciter une réflexion chez ses participants, l’École mise avant tout sur des ateliers pratiques et sur des visites de terrain. Les horticulteurs amateurs exploreront ainsi des projets jardiniers exemplaires à Montréal qui innovent autant sur le plan social qu’environnemental.
Pour Éric Duchemin, l’apport social de l’agriculture urbaine s’illustre d’entrée de jeu par par sa propension à l’intégration culturelle. «Les nouveaux arrivants ont leurs habitudes culinaires, remarque-t-il. Souvent, ils ne trouvent pas leurs aliments dans le pays d’accueil, du moins, pas à côté de chez eux. Le jardin est parfois le premier endroit où il y a un contact avec d’autres personnes.» La coordonnatrice des jardins du Carrefour alimentaire Centre-Sud, Léonie Rouette Tétrault est du même avis. «Sans faire dans le stéréotype, les gens d’autres nationalités qui viennent nous voir ont souvent plus de connaissances en jardinage [que les Montréalais] parce que leur mode d’alimentation en dépendait dans leur pays d’origine», observe-t-elle.
En plus de permettre l’intégration de nouveaux arrivants, l’agriculture urbaine permettrait la réinsertion sociale d’individus marginalisés aux prises avec le décrochage, la toxicomanie, mais aussi avec la prostitution et l’itinérance. C’est cette mission que s’est donnée l’organisme à but non lucratif Sentier urbain. Fondé en 1993, l’organisme avait pour mission initiale de mettre les enfants montréalais en contact avec la nature, «pas dans les parcs urbains, mais dans ce qui pourrait ressembler le plus possible à des boisés en ville», précise son directeur, Pierre Denommé. Rapidement, l’organisme a lancé des projets d’insertion auprès de jeunes marginalisés pour développer et maintenir ses aires vertes. «Le fait de leur donner un espace à entretenir est valorisant pour eux, mais en plus, ils incitent d’autres gens de ces mêmes milieux marginalisés à respecter les espaces entretenus», explique-t-il.
Crédit: Sentier urbain
Montréal et ses particularités
Éric Duchemin estime qu’aux côtés d’autres «pôles» de l’agriculture urbaine comme Portland et Paris, Montréal est «exemplaire» par son mouvement, par les gens qui portent l’agriculture urbaine en marge des initiatives institutionnelles. «D’autres grandes villes sont un peu plus show off que Montréal dans leur encadrement de l’agriculture urbaine, remarque-t-il. Paris a rédigé une politique d’agriculture urbaine super intéressante pour l’apiculture urbaine, mais l’approche à Montréal est plus proche du terrain.»
Malgré les projets de réappropriation citoyenne des espaces vacants à des fins horticoles, le professeur croit qu’il est inadéquat de voir à Montréal une réelle émergence du guerilla gardening. En pleine émergence dans plusieurs grandes villes nord-américaines, le guerilla gardening désigne un ensemble d’initiatives potagères autogérées qui incarnent une forme de «justice alimentaire, soit la garantie d’une accessibilité pour tous à l’alimentation sans dépendance aux supermarchés, tout en contestant la réglementation urbaine établie. «Ici, ça n’existe pas parce qu’en général quand tu reverdis un espace inutilisé sans demander la permission, un maire d’arrondissement ou un conseiller municipal se présente aussitôt pour te tapper dans le dos et te féliciter pour ton initiative, raconte-t-il.» Le professeur cite en exemple le «mange-trottoir» dans Villeray, où des citoyens ont installé un potager dans des saillies de trottoir, ainsi que le «jardinet des mal-aimées» de la rue Beaubien, un projet initié par un jardinier citoyen. Ces projets ont tous deux été accueillis favorablement par leur arrondissement respectif.
Cette ouverture aux initiatives jardinières citoyennes serait pourtant récente, si on se fie au parcours de l’organisme Sentier urbain. Bien qu’il jouisse aujourd’hui d’une réputation favorable, Pierre Denommé avoue que ses premières démarches n’ont pas été aisées et qu’elles étaient vues d’un mauvais œil par des «fonctionnaires fermés d’esprit» qui ont tenté de plusieurs manières de l’expulser des terrains qu’il occupait. «Aujourd’hui, on profite d’une plus grande ouverture de la part de la ville, mais aussi de la part d’entreprises privées qui sont souvent plus faciles d’approche, témoigne-t-il. Il faudrait vraiment avoir de bonnes raisons pour nous déloger d’un terrain que nous revitalisons ; nous avons les pieds bien ancrés dans la terre !»
Photo: Félix Deschênes
Parmi les initiatives jardinières visitées par les participants de l’École d’été sur l’agriculture urbaine, on trouve habituellement les projets du Collectif de recherche en aménagement paysager et agriculture urbaine durable (CRAPAUD), dont les serres sont situées au pavillon des sciences biologiques de l’UQAM.
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