«T’es important pour nous. Le suicide n’est pas une option.» Des slogans popularisés par les médias lors des campagnes de sensibilisation. Plusieurs journalistes croient pourtant qu’il serait préférable de ne pas faire trop de bruit avec le suicide au Québec.
«Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux: le suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d’être vécue, c’est répondre à la question fondamentale de la philosophie. Le reste, si le monde a trois dimensions, si l’esprit a neuf ou douze catégories, vient ensuite. Ce sont des jeux; il faut d’abord répondre.» Albert Camus
Mettre en scène le suicide dans la fiction, plutôt que de décrire des cas réels, atténuerait la proximité du drame et permettrait de s’en rapprocher autrement, pour mieux le comprendre. Tout ceci n’est qu’une hypothèse; l’esprit scientifique a besoin de faits empiriques. C’est ce que pense le doctorant en psychologie de l’UQAM, Louis-Philippe Côté. Ce chercheur nous aide à poser un regard plus personnel sur le suicide, au-delà des statistiques.
Montréal Campus: Est-ce que le suicide est considéré comme un sujet tabou?
Louis-Philippe Côté: Je ne dirais pas qu’il est tabou, mais je crois que c’est un sujet qu’il ne faut pas aborder de n’importe quelle manière. Il existe une liste de critères et de recommandations de l’Organisation mondiale de la santé, à savoir les choses dont il faut éviter de parler et la manière la plus efficace, la plus «safe», de parler de suicide. Ce qu’on demande surtout, c’est de ne pas révéler la méthode utilisée par la personne qui parvient à se donner la mort.
M.C.: Est-ce qu’on craint un effet d’entraînement par la médiatisation?
L.-P.C.: Plus d’une vingtaine d’études l’ont démontré en s’intéressant à la médiatisation d’un suicide et son incidence dans la population, là où la nouvelle avait été diffusée. Malgré cela, ce n’est pas le fait de parler du suicide qui va induire des comportements suicidaires, mais plutôt la manière dont la problématique est traitée. Dans un souci de prévention, il est suggéré d’éviter tout traitement sensationnaliste.
M.C.: Quand il s’agit de vedettes on en parle dans les médias, c’est inévitable. Avez-vous un exemple de bonne couverture de presse?
L.-P.C.: Les médias font leurs choux gras avec ces histoires-là. La mort d’une personnalité connue a toujours une forte couverture médiatique. Le traitement du sujet fait toute la différence. Contrairement à ce qu’on peut penser, après le cas de Kurt Cobain, il n’y a pas eu d’augmentation de l’incidence de suicide. Il y a eu cependant plus d’appels dans les centres de prévention. L’accent avait été mis sur les problèmes de santé et d’alcool du chanteur et à chaque fois que les médias en parlaient, ils finissaient par justement donner le numéro de la ligne d’intervention téléphonique. La médiatisation peut autant être l’occasion de faire de la prévention, tout comme ça peut être une occasion qui va susciter une émotion suicidaire. C’est une grande responsabilité qu’ont les médias, quand on y pense bien.
M.C.: Avec la prévention actuellement, on semble souvent associer tous les cas de suicide entre eux sans hiérarchiser ou définir des catégories. Avec une seule voie : «le suicide n’est pas une option», ne risque-t-on pas d’éviter d’explorer le problème en profondeur?
L.-P.C.: Il y a toujours deux choses. D’abord, le discours, les valeurs que ça lance, qu’on peut analyser. Ensuite, il y a les connaissances empiriques, les impacts réels. C’est important de ne pas mélanger les deux. On peut être contre le fait de dire que le suicide n’est pas une option, on peut analyser les valeurs qui sont mises en cause en disant que le suicide n’est pas une option. Mais on ne peut pas affirmer l’impact de ce discours tant qu’on a pas été mesurer l’effet qu’il a dans la population sur les comportements suicidaires.
M.C.: Les causes possibles du suicide semblent totalement écartées si on dit que le suicide n’est pas une option. Qu’en pensez-vous?
L.-P.C.: Je fais toujours attention lorsqu’on cherche à établir les causes du suicide. C’est multifactoriel, il n’y a jamais un seul événement qui mène au suicide. C’est un enchaînement d’événements, et à un moment donné les planètes s’alignent, tout va mal en même temps. Quatre fois sur cinq il y a un problème de santé mentale, une phase dépressive suivie d’un élément déclencheur. On ne dit pas que la maladie mentale cause le suicide, mais disons que cela n’aide pas. Il y a un tas de facteurs impliqués, mais ce qui distingue la personne dépressive de la personne dépressive suicidaire, c’est le désespoir. Dans le désespoir, il y a une perte de sens. Pour être vraiment certain de savoir de quoi on parle, il faut aller investiguer le terrain. On ne peut pas faire une grande théorie du suicide qui part de nos cerveaux.
M.C.: Le suicide dans l’art, on le voit beaucoup. On peut parfois le magnifier aussi. Qu’est-ce que vous en pensez si, par exemple, comme auteur dans mon roman, j’associe l’acte de se donner la mort à la poésie, la délivrance, la liberté?
L.-P.C.: C’est votre liberté artistique…
M.C.: Mais en tant que personne qui veut aider à la prévention, est-ce que vous pensez que je fais un mauvais choix d’auteur?
L.-P.C.: Un mauvais choix d’auteur, jamais je ne vais dire ça, car c’est de la création artistique, c’est de l’art. Deux choses: la première, c’est que j’ai un grand respect pour la liberté artistique et la liberté d’expression, donc je pense que c’est une pente très glissante que de vouloir contrôler la création artistique, c’est totalitaire même et jamais je ne voudrais aller par là. La deuxième chose, je dirais que je comprends ça. Ce n’est pas parce que je suis en prévention du suicide que je crois que la vie est toujours belle et facile. Je comprends cet art-là et les manières avec lesquelles les auteurs traitent parfois le thème, avec un certain romantisme. Mais dans la réalité, en regard des données et des histoires de cas réels auxquels j’ai été confronté, je vous dirais que c’est rarement romantique, au contraire. C’est sale, c’est triste, ce sont des gens qui souffrent et qui se retrouvent complètement isolés. Dans leur solitude et devant leur sentiment d’impuissance, ils ont eu l’impression qu’ils étaient dans un cul-de-sac. Moi, je pense que l’important c’est de leur apporter de l’aide.
M.C.: Comment on apporte son aide à quelqu’un qu’on connaît?
L.-P.C.: Le meilleur moyen d’aider, c’est d’être là pour la personne, être ouvert à l’écouter et ne pas la juger. Essayer de lui redonner de l’espoir et de l’estime en ne cessant pas de la fréquenter. Il faut éviter de laisser une personne souffrante dans l’isolement.
L’Organisation mondiale de la santé estime qu’il y a près d’un million de suicides chaque année dans le monde. Trois personnes se tuent chaque jour au Québec. Le taux de succès est de 7,69% des tentatives, soit une sur treize.
1-866-APPELLE (ligne d’aide)
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