Céder au jeu ludique des trolls | Retour sur l’œuvre « Anonymous »

Le portrait du collectif Anonymous, dressé par Gabriella Coleman, est en soi un tournant marquant pour l’étude de cette communauté sur le web. L’auteure décortique l’univers culturel de ce groupe hacktiviste qui permet de comprendre l’essence même de ses actions.

Grâce à son expertise sur le sujet, l’anthropologue a vulgarisé dans son ouvrage les concepts fondamentaux qui sont caractéristiques du collectif. L’étudiante au doctorat en communication à l’ UQAM et adjointe de recherche au Centre de recherche interuniversitaire sur la communication, l’information et la société (CRICIS), Anne-Sophie Letellier, considère cette œuvre comme un ouvrage de référence. «C’est l’un des premiers travaux ethnographiques entièrement consacrés à ce groupe, déclare-t-elle d’un ton émerveillé. C’est une excellente introduction pour comprendre les enjeux soulevés par le collectif.»

Cette chercheuse, qui a été une élève de l’auteure, s’intéresse aux messages véhiculés par le groupe hacktiviste dans l’espace public. Elle s’est grandement inspirée des thèses et des analyses de son ancienne professeure pour peaufiner ses recherches. «Le travail de l’anthropologue offre une base qui est nécessaire pour analyser les actions du collectif [Anonymous]», explique-t-elle.

Un passé de troll

Pour décoder celui-ci, Gabriella Coleman a étudié toutes les sphères de l’association virtuelle. « Il est essentiel de comprendre comment le collectif est passé d’une bande de trolls sinistres à un groupe d’activistes assumant un rôle public», décrit-elle dans son ouvrage. Le concept du troll, qu’elle définit comme «un internaute qui intervient dans le seul but de nuire en soulevant la polémique (…) pour le simple plaisir de la chose», est toujours au cœur des tactiques employées par les militants d’aujourd’hui, précise Anne Sophie Letellier. «Leurs mobilisations politiques vont toujours être teintées de ce caractère farceur et très transgressif digne de leur passé de trolls », poursuit la spécialiste des mouvements hacktivistes.

Pour présenter cette communauté au public, l’auteure s’est servie d’extraits personnels de conversations instantanées (chat) et n’a pas eu peur d’utiliser un vocabulaire caractéristique du monde web. Un glossaire, pour aider les non–geeks qu’elle dépeint comme le contraire des «passionnés d’informatique ou de tout ce qui est high-tech», permet aux lecteurs de se retrouver. «Ce que j’apprécie beaucoup dans sa manière d’écrire, confie Anne Sophie Letellier, c’est qu’elle est capable de refléter autant dans le contenu que dans le contenant le caractère ludique et très joueur, qui est caractéristique d’Anonymous.»

Un collectif, un symbole

Bien que leurs actions sont teintées d’idiosyncrasie et de controverse, Gabriella Coleman expose grâce à des données empiriques l’importance du rôle d’Anonymous aujourd’hui. «Le collectif est devenu un symbole de la dissidence, un moyen de canaliser le profond désenchantement provoqué par un dictateur, par une loi, par l’économie, par la culture du viol – en gros, par quoi que ce soit», soutient l’experte. Selon Anne-Sophie Letellier, la popularité d’Anonymous a permis d’identifier dans l’imaginaire collectif le cyberespace comme étant un nouvel outil de mobilisation.

Au Québec, Anonymous est très actif. Lors du printemps érable de 2012, il a bousculé plusieurs sphères publiques. «Il s’est mêlé de la grève estudiantine et en signe de protestation, il a fait des actions par dénis de service [des attaques informatiques qui immobilisent un service] sur le site du gouvernement Libéral du Québec», rappelle Anne-Sophie Letellier. Ces militants masqués, que Gabriella Coleman étudie continuellement, ont changé la manière de protester.

Que l’on soit en accord ou non avec leur façon de procéder, Anonymous retient l’attention de plusieurs et ne passe pas inaperçu. «Ce n’est jamais noir ou blanc, fait remarquer Anne-Sophie Letellier. C’est ce qui rend le collectif si intéressant, car il ne donne pas de réponses; il ne fait qu’identifier les problèmes pour alimenter les débats qui sont présents

L’ouvrage, qui transmet à la fois la volonté militante d’Anonymous et ses paradoxes face à l’éventail varié d’actions qu’il commet, permet de comprendre la logique interne de ce groupe fascinant tout en laissant le lecteur perplexe sur le mystère lié à l’anonymat du collectif.

Photo : Mattia Notari (Flickr)

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *