Jadis des milieux d’hommes, les universités nord-américaines peuvent se targuer de compter de plus en plus d’étudiantes et de professeures dans leurs rangs. Pourtant, on retrouve peu de femmes en sciences, particulièrement au doctorat. Le milieu scientifique demeure-t-il une chasse gardée ?
À l’UQAM, il y a globalement plus de femmes que d’hommes qui réalisent une thèse de doctorat. Or, les femmes sont sous-représentées dans les cycles supérieurs de la Faculté des sciences (FS). Si la parité est à peu près atteinte chez les étudiants à la maîtrise de la FS, atteignant en moyenne 47% entre 2004 et 2010, le nombre de femmes qui se rendent au doctorat est bien moindre, plafonnant à 37% durant la même période. Afin de trouver les causes de ce déséquilibre, une étude vient d’être commandée par le doyen de la Faculté, Luc-Alain Giraldeau,
«On constate que la sous-représentation des diplômées [en sciences] correspond à la sous-représentation des professeures, indique-t-il. Cela devient un problème chronique si on ne fait rien en amont.» Il ajoute que le ratio hommes-femmes en sciences naturelles a peu changé en 15 ans. «Y a-t-il quelque chose qui défavorise les femmes au doctorat [en sciences] ?», se demande le doyen. C’est avec cette interrogation à l’esprit que M. Giraldeau a mandaté l’Institut de recherches et d’études féministes (IREF) à se pencher sur la question. «Notre rôle sera celui d’un révélateur, comme lorsqu’on trempe un papier [pH] dans une solution: est-ce que ce sera acide ou non ?», explique Rachel Chagnon, directrice de l’IREF. Le début des travaux est prévu pour l’automne 2016.
Un problème généralisé
À la demande du doyen, la Faculté des sciences a fait état en janvier 2015 de la mixité du corps professoral. Le document compare le ratio hommes-femmes chez les professeurs des différentes facultés de l’UQAM en plus de compiler les résultats des autres universités québécoises. La FS est la moins paritaire de l’UQAM avec 23% de femmes professeures, derrière la Faculté de communication (36%) et l’École des sciences de la gestion (38%). Or, le cas de l’UQAM n’a rien d’exceptionnel. En comparant la mixité des professeurs dans les institutions québécoises œuvrant en sciences, on constate que l’Université du peuple est même l’une des mieux placées, et ce même si environ un enseignant sur quatre est une femme. Seules l’UQAT, l’UQO et Bishop ont plus de professeures en sciences.
«Tu as été prise au doctorat parce que ton directeur de thèse te trouve cute.» Ce genre de propos désobligeants, Pauline Méjean en a entendu quelques fois. La jeune femme, qui vient de déposer sa thèse de doctorat en sciences de la Terre il y a deux semaines, a confié s’être parfois sentie discriminée par des collègues masculins. On se souviendra des propos controversés d’un prix Nobel de médecine qui a déclaré, en juin 2015, à propos des femmes qui travaillent dans les laboratoires, que «trois choses se passent: vous tombez amoureux d’elles, elles tombent amoureuses de vous, et quand vous les critiquez, elles pleurent».
Soucieux des enjeux féministes, l’IREF réalisera – idéalement, dès l’automne – des entrevues avec des étudiants et des dirigeants de recherche afin de dégager des motifs, des «barrières systémiques» imposées aux femmes. Rachel Chagnon a émis quelques hypothèses : une attitude «sexuée» des pairs et des professeurs masculins, un accès limité aux bourses et un recrutement par contacts à la défaveur de la minorité féminine.
Une histoire de famille ?
La maternité pourrait aussi décourager plusieurs femmes à poursuivre leurs études. «Le doctorat arrive à un âge où les femmes doivent choisir entre la famille et le travail», suggère Audrey Glory, finissante au doctorat en biochimie à l’UQAM. Selon elle, la société fait en sorte que les femmes se sentent «obligées de rester à la maison» si elles fondent une famille. Elle croit que l’Université pourrait aider les jeunes mères au doctorat, en offrant des horaires plus flexibles et un meilleur service de garderie, par exemple.
L’IREF procède actuellement à la sélection du professeur qui dirigera l’étude. Rachel Chagnon a toutefois rappelé que les travaux ne pourront débuter sans les auxiliaires de recherche, qui font partie du Syndicat des employé-e-s étudiant-e-s de l’UQAM (SETUE) en grève générale illimitée depuis décembre 2015.
*Nom fictif
Photo: George Joch Flickr
Tableau: SPARI
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