Des clochers étouffés

La précarité des églises se fait ressentir aux quatre coins du Québec. En voie de disparaître, le patrimoine religieux doit se moderniser pour retrouver sa pertinence d’autrefois.

Entre les démolitions, les transformations et leur remise en question, les clochers de Montréal n’ont plus la même résonance auprès de la population. Le patrimoine religieux, laissé à lui-même, sombre dans la décrépitude.

Jadis synonyme de pouvoir et de prestance, le patrimoine religieux de la ville aux cent clochers n’est plus l’ombre de ce qu’il était au 20e siècle. Ces monuments historiques ne sont pas à l’abri de destructions massives ou d’une dénaturalisation de leurs fonctions initiales. Cette forme de recyclage cache une problématique plus forte encore. «Le principal problème reste que personne n’a les moyens de les entretenir, car les coûts d’entretien sont exorbitants», raconte le professeur en journalisme à l’UQAM, Alain Gerbier. D’autres églises se modernisent à leur façon, comme la Bibliothèque Mordecai-Richler du Mile-End, qui occupe l’ancienne église anglicane de l’Ascension dont le plafond en bois, les arches et les vitraux ont été conservés après les travaux majeurs effectués en 1992.

Rénovations complexes

Néanmoins, la restauration de ces monuments historiques demeure délicate en raison de leur taille et de leur architecture. «C’est un peu plus facile avec les églises à petit gabarit, mais la majorité d’entre elles demeure sont grandes et les réaménagements deviennent considérables», explique l’urbanologue et architecte paysagiste, Jonathan Cha. Ce dernier avance que la contribution monétaire à la collecte des pratiquants ne suffit pas au maintien de ces églises et que la majorité d’entre eux se sentent impuissants vis-à-vis le manque de ressources.

Le patrimoine religieux de la métropole reste fragile et la population ne l’aide pas à assurer sa survie, considère Alain Gerbier. «Nous sommes face à un degré d’ignorance crasse et à un désintéressement envers notre histoire. C’est décourageant surtout avec l’énorme quantité d’informations existantes sur ces églises que personne n’exploite», se désole le professeur.

Le Conseil du patrimoine religieux du Québec a organisé trois forums de discussions à l’UQAM concernant les perspectives des églises de Montréal et l’avenir du clocher St-Jacques. Les derniers échanges de cette série de causeries auront lieu le 23 février et 29 mars, amenant autant d’experts que de citoyens à venir discuter de l’avenir de ce patrimoine religieux.

Un spectacle qui détourne l’attention

Aux yeux de l’artiste visuelle Nathalie Lafortune, le moment est opportun pour trouver des idées afin de venir en aide au vieux clocher de l’UQAM, érigé de 1855 à 1857 et terminé en 1876. «C’est super important de prendre un moment pour s’arrêter et d’essayer de comprendre notre environnement avec une vision un peu plus large», explique-t-elle.

Depuis 2010, le clocher St-Jacques est le théâtre de différents jeux de lumière et projections d’arts visuels de toutes sortes. Une initiative «intéressante» selon l’artiste, mais qui ne met pas réellement en valeur  son architecture et son histoire. À son avis, les projections qui se font sur la façade du bâtiment n’aident pas à comprendre toute la complexité de celle-ci. «Ça anime la ville et tant mieux si l’UQAM devient une sorte de terrain de jeu, mais je me demande si les étudiants ont vraiment conscience de la surface sur laquelle ils affichent», s’interroge-t-elle. Quant à lui, Alain Gerbier ne nuance pas ses propos. À ses yeux, cette projection d’images est du «pipeau»: «Je serais plus impressionné si on peignait le clocher en rouge pour que ça soit directement lié aux difficultés financières de l’UQAM», confie-t-il, sans détour.

Dès la nuit tombée, des motifs et des couleurs ornent la façade de ce clocher et dissimulent encore mieux les échafaudages de protection déjà camouflés par des panneaux de contreplaqué couverts d’affiches publicitaires.  Le conseil d’administration de l’Université se préoccupe tout de même de cette situation alarmante. «Ce clocher n’est pas que le cadet de leurs soucis parce qu’ils ont déjà fait des essais pour voir si le bourdon provoquait des vibrations qui pouvaient le faire tomber», explique le professeur en journalisme. Il ajoute que la direction est pleinement consciente qu’une restauration se doit d’être effectuée, mais que «le manque de fric et des problèmes plus urgents» retardent les travaux débutés en 2011 et estimés à 15 millions de dollars.

Ce monument représente le cœur de ce quartier du centre-ville, un point de repère unique et historique. Selon Jonathan Cha, malgré ses difficultés financières de l’établissement scolaire, l’Université doit tenter de restaurer son clocher à même son budget en allant chercher des appuis du secteur privé. «C’est inconcevable de s’imaginer le Quartier latin et l’UQAM sans leur clocher», pense-t-il.

Photo: Alexis Boulianne

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