Il y a l’ours, et les outardes. Et les habitants de Guyenne, cette contrée lointaine et rurale, qui font un pied de nez aux plus forts. Une fable sur fond de révolte où le politique et le magique s’emmêlent, où « tout est possible au pays de l’impossible ».
Dans Habiter les terres, présenté dès le 9 février au Théâtre Aux Écuries, un village perdu au bout du monde est menacé par un décret de fermeture. Ses habitants, refusant cette éventualité, s’organisent et kidnappent le ministre de l’Environnement, de l’Agriculture et de l’Occupation pour forcer le premier ministre à venir discuter.
La pièce est le fruit de la résidence d’écriture que son auteure, Marcelle Dubois, a effectuée il y a quatre ans au Théâtre du Tandem à Rouyn-Noranda. «Il y avait quelque chose en moi qui avait envie de valider, ou du moins d’explorer le lien que ma poésie pouvait avoir avec ma région», explique celle qui est originaire de Notre-Dame-du-Nord en Abitibi-Témicamingue. Pour y arriver, cette dernière, à la recherche des traces qui ont forgé son identité, a mené une véritable enquête de terrain et a rencontré une quinzaine d’habitants de la région. «Les agriculteurs sont ceux qui m’ont le plus marquée. Ils ont des conditions de vie très particulières, pour ne pas dire arides, rêches. En même temps, ils ont une immense fierté de défendre encore l’existence de ces terres-là et de ne pas les abandonner », remarque-t-elle.
Habiter les terres met en scène la beauté et la violence du Nord, et aborde des thèmes, comme le désintérêt envers les régions et l’occupation du territoire, qui résonnent toujours dans l’actualité. Alors que le sujet aurait pu se prêter à l’œuvre documentaire, Marcelle Dubois a préféré se tourner vers la fiction, et plus particulièrement vers le réalisme magique, pour faire vivre ses personnages. «À travers la fiction, je peux parler du fantasme que les gens que j’ai rencontrés ne peuvent pas vivre, un fantasme de révolte, précise la diplômée en création littéraire à l’UQAM. Dans le réalisme magique, on peut aller chercher des symboles, des codes. Reproduire la réalité m’intéresse peu au théâtre, ce qui m’intéresse est de me servir de ce médium pour créer une poésie qui pousse plus loin notre réflexion.» À l’image de l’ours qui devient philosophe dans la pièce et des outardes, sortes de pigeons voyageurs et de vigies.
La dramaturge, obsédée par le désir de pousser toujours plus loin l’exploration du processus identitaire lié à la Terre, va même jusqu’à proposer une œuvre politisée qui met de l’avant le contre-pouvoir citoyen. Une «utopie d’une révolte rurale» qui se déroule à Guyenne certes, mais qui fait abstraction de tout cadre référentiel, à la limite d’un monde imaginaire. Un univers singulier, où se déchaîne la rage oui, mais aussi l’humour sous la mise en scène de Jacques Laroche qui évoque parfois le théâtre d’ombre et de marionnette, la figure du bouffon et même le chœur grec.
Un grand et rocailleux pays de l’impossible, où tout peut se déployer. «C’est un peu la zone sauvage. Tu peux bien faire des lois, marteler la rectitude politique, mais on est tellement loin du monde que notre loi va primer parce qu’on est les seuls à faire vivre ce pays», lance Marcelle Dubois.
La pièce Habiter les terres est présentée du 9 au 27 février au Théâtre Aux Écuries.
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