De l’encre à l’écran

Le futur continue de frapper en faisant pousser du contenu numérique un peu partout. Ce n’est pas de la mauvaise herbe; c’est l’évolution, et cela touche aussi le domaine de la littérature. L’équipe de chercheurs du laboratoire NT2 de l’UQAM se place au cœur de ces innovations pour marier technologie et lettres.

Ayant vu le jour en 2004, le laboratoire NT2 analyse la corrélation entre les nouvelles technologies informatiques et les nouvelles formes de texte. Ce sont les lettres pixellisées, apparaissant sur un écran grâce au tapement frénétique de doigts sur les touches d’un clavier, qui intéressent l’équipe du laboratoire. Parmi cette quinzaine de chercheurs passionnés figurent des lettrés et des experts en histoire de l’art. «On essaie de penser la littérature, l’écriture, la lecture dans un contexte numérique, explique le directeur et fondateur, Bertrand Gervais. Ça nous permet de comprendre les arts dans le contexte actuel.»

Des sillons artistiques

Pour satisfaire sa soif de contenu littéraire, le NT2 a bâti un répertoire d’œuvres hyper-médiatiques. «C’est un travail de catalogage, comme si on était une bibliothèque», illustre Bertrand Gervais. Ce répertoire, dont le contenu continue de s’enrichir, compte maintenant 4100 fiches descriptives d’œuvres et de biographies d’auteurs qui flottent sur les étagères virtuelles du cyberespace. L’équipe du laboratoire et quelques étudiants aux cycles supérieurs ont épluché le Web pour trouver des œuvres nouvelles qui ont été créées exclusivement pour des interfaces numériques. «Par la force des choses, les œuvres les plus vieilles que l’on répertorie datent de la création d’Internet. Je nous vois difficilement répertorier Émile Zola!» plaisante-t-il.

Cest également l’apport du numérique dans l’art sous toutes ses formes qui respire à travers les recherches du NT2. «La multiplication des plateformes mobiles ouvre la porte à des outils nouveaux pour les artistes qui les utilisent pour explorer des formes esthétiques, soutient la chercheuse pour le laboratoire NT2, Joanne Lalonde. C’est un courant à côté duquel on ne peut pas passer et qu’il est important de documenter.» Les artistes s’approprient les innovations technologiques depuis le 20e siècle, selon la chercheuse, également professeure titulaire en histoire de l’art à lUQAM.

NT2 interpelle un public diversifié : les lettrés, qu’ils soient spécialistes ou étudiants, mais aussi des curieux, notamment grâce à son caractère international. Les banques de données offrent un répertoire multilingue comprenant l’anglais, le français, l’espagnol, l’allemand et le portugais. «Nos sites ont beaucoup de trafic compte tenu de l’originalité de notre approche et du fait que nous sommes les seuls francophones à mettre en ligne du contenu sur les nouvelles formes textuelles», explique le directeur du NT2.

Cultiver le numérique

Les technologies influencent la diffusion de la culture, mais en ce qui concerne la littérature, c’est différent, daprès le directeur général de l’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ), Francis Farley-Chevrier. «Il y a plus de résistance au changement de format, croit-il. À l’inverse, en musique il y a eu le vinyle, le 8 pistes, la cassette, le CD et maintenant le fichier mp3. C’est pareil pour les vidéogrammes.» En littérature, il y a multiplication de blogues et de supports où les auteurs peuvent diffuser leurs écrits, mais l’imprimé reste par attachement. «C’est un support qui existe depuis 600 ans et qui est une pierre angulaire de la civilisation», affirme Francis Farley-Chevrier. L’adaptation du monde littéraire ne se traduit pas par un rejet du numérique, mais bien par une coexistence entre le papier et la technologie.

Contrairement au livre électronique qui cherche à imiter le livre imprimé avec ses pages virtuelles, l’UNEQ, en collaboration avec le NT2, a voulu assumer complètement l’intégration de la technologie en littérature. Ils ont lancé l’application mobile de littérature québécoise nommée Opuscules, projet à la base expérimental qui a su tailler sa place. L’application se présente sous deux composantes. D’une part, Opuscules est une anthologie de littérature québécoise qui diffuse de courts textes d’écrivains d’ici. D’autre part, c’est un agrégateur de blogues, c’est-à-dire que l’application compile des blogues qui traitent de littérature québécoise, de critiques ou de créations littéraires.

LUNEQ sest associée au NT2 à cause de l’expertise de ce dernier en matière de technologie et de lettres. «Il y a des compagnies qui font des applications mobiles pour toutes sortes de choses, mais en travaillant avec le NT2, le partenariat est plus naturel parce que c’est une équipe qui a une sensibilité aux questions sur la littérature», soutient Francis Farley-Chevrier.

Limprimerie a su réinventer le livre. L’Internet et les technologies repensent à leur tour les arts. Mais que les lettres soient d’encre ou de pixels, elles font partie d’une culture littéraire qui continue de s’enrichir.

Photo : Bertrand Gervais

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