À l’avant-plan médiatique du scandale des portes placardées à l’UQAM et présente sur la ligne de front des dénonciations de harcèlement sexuel envers les étudiantes, Martine Delvaux est l’une des voix féministes les plus écoutées du Québec.
L’heure du midi a sonné depuis longtemps et Martine Delvaux contemple la foule éclectique du petit café français du Plateau où elle sirote une eau gazeuse. Son sourire rayonnant, son visage ouvert et ses cheveux éclatants attirent tous les regards sur elle, malgré l’achalandage. La professeure, très présente dans l’actualité l’année dernière, notamment en ce qui concerne les agressions non-dénoncées et les relations professeurs- étudiantes, continue d’être une ressource phare du féminisme au Québec et surtout à l’UQAM.
Dès le début de sa carrière, la professeure fait le choix de n’enseigner que des travaux de femmes à ses étudiantes. «La littérature que je fais lire sont des textes de femmes. Et je l’enseigne toujours en disant aux filles que tant qu’on ne montrera pas autant de femmes que d’hommes dans les cours, je serai tenue de leur en faire lire. Sinon elles n’en liront pas», déclare-t-elle en replaçant ses lunettes.
Ce choix reflète son militantisme féministe. Se manifestant de manière théorique au début de la carrière de l’enseignante, il se développe et évolue au fil de son parcours. «Je suis devenue féministe en enseignant, comme Simone de Beauvoir l’est devenue après avoir écrit Le deuxième sexe. Honnêtement, c’était un peu comme un costume que je portais au début de ma carrière. Ce féminisme profond, engagé pour lequel on me connaît maintenant est venu plus tard.»
Son étudiante et collègue Valérie Lebrun ne manque pas d’éloges pour celle qui lui a demandé de collaborer dès le début de sa maîtrise. «Martine se démarque par son courage intellectuel, sa capacité à argumenter avec nuances et délicatesse, son énergie, sa justesse, son humour, et par sa passion. En elle, j’ai trouvé non seulement une lectrice attentive et généreuse, mais une alliée hors pair», déclare-t-elle.
Au printemps érable, Martine Delvaux troque les livres pour la rue. «La grève étudiante a changé quelque chose. À ce moment-là, j’ai publié un roman, ce qui m’a envoyée sur les réseaux sociaux et ça a fait boule de neige. Ils sont alors devenus un lieu de militance pour moi.» Aujourd’hui, l’opinion de la féministe est régulièrement sollicitée par les institutions académiques, par les médias et par un grand nombre de gens qui la suivent sur les réseaux sociaux. L’UQAM a d’ailleurs fait appel à son expertise en lui demandant de siéger au comité de révision de la Politique 16 contre le harcèlement sexuel. Avec deux étudiantes, dont Valérie Lebrun, elle a organisé le colloque, Sexe, amour et pouvoir, une réflexion sur les relations entre les professeurs et étudiants sans se douter de la portée des événements de l’automne: le phénomène #AgressionsNonDénoncées, le scandale de Jian Gomeshi, et les portes de bureaux de certains professeurs de l’UQAM placardées d’accusations de harcèlement et d’agressions sexuelles. Le colloque tombe à point. «Au fil des années, quand on entend beaucoup de choses, on se dit qu’il y a un abcès à crever. Comme prof, je sentais le besoin d’aborder ces questions-là. Il fallait les aborder pour éviter que ça éclate, mais ça a éclaté avant que l’on puisse avoir le colloque.»
Terminus Montréal
Les études de Martine Delvaux l’emmènent jusqu’aux États- Unis, à l’Université du Michigan, où elle complète son doctorat en études de la littérature française. Elle goûte alors à l’enseignement, un domaine dans lequel elle a toujours voulu évoluer. «Je pense que je me suis tournée vers l’enseignement par pure passion. Pour moi c’était la seule voie. J’ai toujours voulu faire deux choses : écrire et enseigner.» Ses études terminées, elle obtient un poste de professeure au Royaume-Uni à l’Université de South Hampton. «C’est de là qu’est parti le Titanic, mais ça s’arrête pas mal à ça, ajoute-t-elle en riant. J’étais désespérée de quitter l’Angleterre. J’étais très jeune et j’avais très peu de temps pour écrire des livres, et faire de la recherche.» Entre en scène l’UQAM, qui offre alors à la jeune professeure un contexte beaucoup plus intéressant. À Montréal comme enseignante de théorie féministe, Martine Delvaux se sent plus à son aise. Elle adopte rapidement Montréal et s’identifie au côté gauchiste de l’université. «J’ai été embauchée en tant que professeure à l’UQAM à 27 ou 28 ans et j’ai quand même bien ramé! Ce n’est pas facile d’être professeure si jeune. Mais j’ai pu m’installer dans ce rôle, dans cette nouvelle ville et me fabriquer», relate-t-elle les yeux pétillants.
Le ton de la professeure devient nostalgique lorsqu’elle parle de l’université qui l’a adoptée. «J’ai choisi l’UQAM et elle m’a choisie en retour. Je tiens fortement à son héritage de militantisme. Il constitue toute la richesse de l’université. De voir qu’on menace des jeunes d’expulsion et qu’on essaie d’étouffer le mouvement étudiant je trouve ça vraiment triste.» Sa bouteille d’eau gazeuse vide, Martine Delvaux quitte le café. À l’extérieur, la température baisse et Montréal ne connaît plus les airs tièdes et agréables de tout à l’heure. D’un pas assuré, la professeure retourne aux nombreuses implications qui réchauffent déjà son printemps.
Crédit photo : Camille Lopez
Laisser un commentaire