Les vertus de la drogue

À travers chacun de ses films, le cinéaste Paul Thomas Anderson pose un regard toujours pertinent sur l’un des innombrables maux qui dépravent sa société. Tout comme le faisait Boogie Nights avec le milieu de la pornographie du début des années 80, son nouveau film Inherent Vice brosse le portrait d’une époque révolue, en se concentrant sur le climat de paranoïa qui régnait aux États-Unis au tournant des années 60.
Le détective privé Larry Doc Sportello (Joaquin Phoenix), enquête simultanément sur trois disparitions: son ex-petite amie Shasta (Katherine Waterston) ainsi que son nouvel amant, un riche magnat de l’immobilier, et finalement le copain musicien d’une ex-junkie (Owen Wilson), présumé mort. Alors que les diverses pistes l’incitent à multiplier les rencontres avec des individus louches, Doc est rapidement traqué par l’enquêteur Bigfoot (Josh Brolin), un policier tenace et obsédé qui le soupçonne de jouer un rôle au sein de ces disparitions.
Tandis que les deux derniers films d’Anderson s’avéraient être d’une richesse dramatique qui forçait l’admiration (There Will Be Blood, The Master), Inherent Vice ne cherche pas à émouvoir. D’autant plus que son intrigue policière, se moquant respectueusement de celles des Films Noirs fatalistes, n’est pas des plus captivantes. Au contraire, cette dernière prend les allures d’une mauvaise blague, au cours de laquelle le personnage principal, ce détective privé constamment défoncé sur la marijuana ou sur la cocaïne, évolue la tête dans les nuages, muni de sa fameuse torpeur.L’impression générale d’étrange et singulière absurdité fait d’Inherent Vice une comédie satirique. Anderson se contente d’illustrer avec une finesse créative fluide et constante l’esprit des lignes de l’écrivain Thomas Pynchon, auteur du livre éponyme. Les expositions du climat de paranoïa et du besoin de consommer de la drogue pour supporter sa lourdeur suffocante sont appuyées par une foulée de dialogues mordants. Ces répliques cinglantes sont livrées par de nombreux personnages excessifs et surréalistes (criminels nazis, dentiste psychopathe, hommes d’affaires drogués et bestiaux, irrésistible femme fatale, policier taciturne). Ces derniers obéissent à une logique indéfinissable, alors que leurs comportements peuvent s’avérer insolites et même brillamment tordus.

À la manière du Pulp Fiction de Tarantino, les références à la culture populaire garnissent abondamment le récit, autant au niveau de la trame sonore que des éléments visuels. Le cinéaste joue habilement avec les antithèses pour dénoter les chocs culturels qui caractérisent cette période d’ébullition sociale et culturelle, pendant laquelle les idéaux traditionnels de succès éclataient rapidement les uns après les autres. Quel plaisir de contempler cette effervescence dans toute son hétérogénéité par le biais d’un personnage principal adepte de paradis artificiels, en se laissant guider par son esprit altéré.

Inherent Vice, Paul Thomas Anderson, États-Unis, 148 minutes, sortie limitée en salles depuis le 9 janvier 2015.

4/5

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