Le «dollar-loisir»

Mon père est diffuseur ou booker comme on dit dans le jargon du métier. Son travail en gros, c’est de bâtir la programmation d’une salle de spectacle. Il appelle donc les gérants d’artistes, offre un cachet aux artistes et il défini le prix des billets pour que la salle fasse des profits. Quand j’étais plus jeune, mon père rentrait du travail avec un sourire fendu jusqu’aux lèvres. Le milieu du spectacle allait bien, il avait même des bonus quand il avait une bonne année.

Plus tard, j’ai commencé à remarquer que mon père revenait à la maison avec un moins grand sourire. Son regard aussi était différent. Il me disait que tout allait bien, mais ses cernes traduisaient un état de fatigue avancé. Rien de dramatique là! Je voyais simplement que le travail avait l’air beaucoup moins facile qu’avant. Étant donné que j’étais assez vieux pour comprendre, mon père m’expliquait que puisque l’économie en général n’allait pas bien, le «dollar-loisir» était très faible. Le «dollar-loisir» vous l’aurez compris, c’est l’argent que les gens investissent dans leurs loisirs, donc en culture par le fait même. Dans mes réflexions alarmistes d’adolescent de 16 ans, je me disais donc que la culture au Québec ne serait pas viable pour longtemps.

Pourtant, en ce moment, ça va bien en culture. Mommy de Xavier Dolan s’en va aux Oscars en tant que fier représentant du Canada et c’est aussi le meilleur départ en salle pour un film québécois depuis 2011. C’est donc déjà un succès auprès de la critique et plus que viable financièrement. La maison de disques indépendante la plus importante au Québec, Audiogram fête ses 30 ans ce mois-ci! Trois décennies de musique, c’est une énorme part du patrimoine musical québécois.

Ah oui, dans le reste du Canada aussi ça semble bien aller; le prix polaris, considéré par plusieurs comme la récompense musicale canadienne la plus prestigieuse, a été décerné à Tanya Tagaq, pour son album Animism. Cette Nunavummiut qui pratique le chant de gorge inuk est la première récipiendaire ayant réalisé album de chant autochtone. Bref, le milieu culturel semble bouillonnant et fleurissant ces temps-ci.

Alors oui, je vous conseille de courir aller voir Mommy au cinéma le plus près de chez vous. Je vous encourage aussi à aller acheter le coffret spécial pour les 30 ans d’Audiogram, mais au moment de payer à la caisse, repensez à mon père, à ses cernes, mais surtout à son fameux «dollar-loisir». Vous trouverez alors peut-être quelques dollars pour un autre artiste n’ayant pas la chance d’être le Dolan de son temps.

Colin Côté-Paulette

Chef de pupitre Culture

culture.campus@uqam.ca

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