Les camps de vacances pataugent dans les difficultés financières. Luttant contre plusieurs embûches, ils déploient des efforts colossaux pour se garder la tête hors de l’eau.
Le filet orange d’un but de soccer baille dans son armature blanche rongée par la rouille. Tout près, une balançoire solitaire grince dans le vent frais de septembre. Le camp de vacances Bruchési n’est désormais que l’empreinte spectrale d’un endroit autrefois surpeuplé. Perché au haut d’une échelle, le directeur de l’établissement, Marc-Antoine de Lorimier s’affaire à rafistoler une toiture quasi-centenaire.
Entré au camp en 1975 comme spécialiste en menuiserie, le directeur est nostalgique de la belle époque où les coffres étaient bien rem- plis, et où des centaines d’enfants foulaient le sol terreux du camp chaque année. «Je dois dire qu’un tel contraste me surprend encore», avoue- t-il. Désormais, les séjours d’une durée réduite à une semaine ou deux accueillent 40 campeurs dans les périodes les plus chargées à Bruchési; une affluence minime en com- paraison aux années 1970. «À l’époque, chaque séjour d’une durée de trois semaines accueillait 400 campeurs, issus majoritairement des services sociaux de Montréal», se rappelle-t-il.
La baisse de fréquentation des camps de vacances au Québec est une tendance lourde depuis plusieurs années. Selon le directeur de l’Association des camps du Québec (ACQ), Éric Beauchemin, les années 1990 ont sonné le début de la période noire. «À ce moment, plusieurs camps ont dû réduire leur capacité d’accueil pour les séjours, car les inscriptions n’abondaient plus autant qu’avant», relate-t-il. Pour expliquer cette diminution d’affluence, le directeur de l’ACQ met en cause le faible taux de natalité au Québec.
Les établissements vacanciers ont dû surmonter une baisse de revenus importante à la suite de la chute du nombre d’inscriptions. Marc-Antoine de Lorimier ainsi que bien d’autres directeurs de camps se sont retrouvés devant une situation financière délicate. «Les coûts d’exploitation ont continué à augmenter, les infrastructures ont continué de vieillir et les normes du bâtiment sont devenues plus sévères», énumère le responsable du camp Bruchési. «Le dernier gros boom de construction dans notre secteur date d’au moins un demi-siècle», explique Éric Beauchemin. D’après le directeur de l’ACQ, un camp a dû fermer ses portes il y a quelques années à peine, car il ne pouvait même plus se conformer aux normes du bâtiment. «Que ce soit pour les escaliers ou les toits, il y a un besoin criant de mise aux normes. La clientèle a évolué et a des attentes plus exigeantes en ce qui concerne les infrastructures», explique-t-il. Pour remédier à ce problème, les camps font de multiples efforts pour atteindre l’équilibre budgétaire. «Certains établissements ont choisi d’ouvrir leurs portes aux familles et aux groupes organisés», explique-t-il. La restructuration de l’offre de services a atténué les problèmes financiers de certains établissements, mais un nouveau problème s’est profilé à l’aube des années 2000. Le faible taux de natalité a empêché un nouvel essor des camps de vacances. «La situation a engendré des problèmes financiers à des endroits où l’organisation administrative était déjà fragile, regrette Éric Beauchemin. Une quinzaine de camps ont vu fermer leurs portes dans les dix dernières années.»
La multiplication des camps de jours est aussi en cause. «Nous sommes passés de programmes de niveau gardiennage à des programmes avec des spécialisations en fonction des âges, autant dans les programmes municipaux que dans les institutions comme les cégeps», explique-t-il. La formule camp de jour comporte des avantages indéniables. «Les parents n’ont qu’à déposer leur enfant sur le chemin du travail pour les reprendre le soir. C’est simple, pratique et très populaire», justifie Éric Beauchemin.
Un trésor à préserver
Si les camps de jour sont appréciés, la pérennité des camps de vacances est un enjeu qui touche autant les jeunes que les adultes, selon Éric Beauchemin. «Il y a plein de beaux emplois, ce sont des défis absolument remarquables parce qu’il y a une absence complète de routine», souligne-t-il. Directeur du camp Bruchési, Marc-Antoine De Lorimier est également fier d’offrir aux adolescents leur première expérience de travail. «Travailler leur épanouissement dans le tra- vail avec les campeurs, c’est la plus belle mission du camp, celle qui me permet de lut- ter pour sa survie, confie-t- il. C’est une sorte de cœur qui rallie tout le monde, qui fait que je me sens utile.»
Consciente de tous les obstacles sur la route de l’industrie, Antonia Leney-Granger, ancienne campeuse devenue coordonnatrice de la Base de Plein Air Mont-Tremblant, espère de tout cœur voir les camps survivre à cette dure période. «C’est une chance unique de pouvoir s’épanouir en dehors du cadre scolaire, une occasion de s’affirmer autrement, affirme- t-elle. Un séjour vaut son pesant d’or.» Marc-Antoine De Lorimier partage cette vision des choses. «Voir des enfants sourire, développer amitiés et liens de confiance dans un cadre naturel, sans violence, drogue ou alcool, ça n’a pas de prix.»
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