Plus souvent qu’autrement, l’UQAM se transforme en refuge temporaire pour itinérants. Parmi ces personnages qui façonnent le singulier paysage uqamien figure Gaëtan Blackburn, un peintre pas comme les autres.
Bien qu’on le retrouve toujours assis entre les murs bruns de l’UQAM, Gaëtan Blackburn peint aussi bien les paysages colorés de l’Europe au printemps que les quartiers en vogue à Paris. Fidèle abonné du pavillon Judith-Jasmin, il crée paisiblement, toujours à la même table, là où la lumière tombe bien et où il peut facilement établir un contact avec une jeunesse inspirante.
L’artiste de 61 ans vit dans la rue depuis sept ans et estime être plus en santé et épanoui depuis qu’il a fait le choix d’y rester. Après deux décennies à travailler dans le domaine des finances, avec en poche seulement une troisième secondaire et beaucoup de débrouillardise, Gaëtan Blackburn mène aujourd’hui sa vie comme il l’entend, sans se soucier de la conformité. «Je suis honnêtement plus pauvre, mais à la fois plus heureux depuis que je mène ma vie de clochard, à peindre et dessiner tous les jours», confie-t-il, le regard brillant.
Gaëtan Blackburn préfère le terme clochard à celui d’itinérant ou de sans-abri, une expression qu’il juge plutôt infantilisante. «Vous savez, songe-t-il, le terme clochard viendrait de l’époque où, lorsqu’arrivait la fin des marchés parisiens, les quêteux attendaient le son du clocher qui leur indiquait alors qu’ils pouvaient venir chercher la nourriture abandonnée par les marchands… J’aime bien cette image», conclut-il.
Intervenant social depuis dix ans au refuge pour hommes la Maison du Père, André Labbé parle avant tout de Gaëtan Blackburn comme de quelqu’un qui a fait le choix d’être libre. «Il ne veut pas être esclave des clients, ou de qui que ce soit d’ailleurs. C’est pour cette raison qu’il décide de ne pas vendre ses oeuvres», explique-t-il, assis derrière son bureau à l’accueil du refuge où quelques hommes attendent patiemment de rencontrer leur intervenant social. «C’est vraiment quelqu’un de bien et de brillant avec qui il est agréable de discuter», lance spontanément l’un d’entre eux, en ajoutant du même souffle qu’ici, tout le monde semble apprécier Gaëtan Blackburn.
Saguenéen d’origine, l’artiste-peintre fréquente la Maison du Père depuis près de deux ans. «On le voyait souvent peindre, faire ses dessins. C’est par la curiosité des autres et avec l’encouragement d’une intervenante sociale, Véronique, que l’idée lui est venue de diriger un atelier deux fois par mois et d’offrir des leçons de dessins aux hommes du refuge, précise André Labbé. C’est une bonne initiative qui fait du bien aux autres.»
Un mal de vivre
Gaëtan Blackburn n’a jamais sombré dans la drogue et n’a aucun problème d’alcool. «Moi, ma dépendance, c’était plutôt la bouffe», affirme-t-il d’un ton plus léger. Dans son autre vie, l’ancien homme d’affaires pesait plus de 300 livres. Le mariage, la maison, la voiture, la sécurité d’emploi et le bon salaire ne faisaient pourtant plus le poids contre le vide immense qu’il ressentait. À l’âge de 55 ans, divorcé, déprimé et le portefeuille vide, il se retrouve dans la rue. Ce qui semblait alors être une fatalité se transforme finalement en seconde chance, raconte le peintre clochard. «J’ai senti que je m’étais enfin réveillé et c’est là que s’est produit l’appel de la peinture. Peindre m’a sauvé la vie», assure-t-il.
Depuis maintenant sept ans, Gaëtan Blackburn refuse de retrouver l’existence monotone et insipide qui l’étouffait sous les kilos en trop. Celui qui a retrouvé un poids santé, mais surtout la capacité de s’émerveiller à nouveau, préfère aujourd’hui vivre dans la pauvreté et peindre pour son propre bien-être. À l’UQAM, entouré d’étudiants qui lui inspirent jeunesse et liberté, ou à la Maison du Père, où il côtoie la grande misère et la résilience, Gaëtan Blackburn prend le temps d’observer. «J’observe tout, tout le temps, tout le monde, et je m’évade ensuite dans la peinture», admet-il.
Bien qu’il n’ait jamais visité le quartier Montmartre ni les champs de lavande en Provence, il voyage à travers ses peintures. Il trouve son bonheur dans les détails tout simples, comme celui de la réaction d’un grain de sel au contact de l’aquarelle. «L’effet est magique. Les couleurs se transforment et les lignes se contorsionnent, ajoute-t-il d’un sourire malin. Au fond, l’important, c’est vraiment de prendre la vie avec un grain de sel.»
Photo : Raphaëlle Forgues
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