Stages et cabotinage

En forte hausse, les stages non rémunérés soulèvent la controverse au pays. Peu familiers avec le marché du travail canadien, les immigrants sont parmi les plus à risque de se retrouver à travailler sans recevoir un seul sous.

Tentant de s’adapter à leur société d’accueil, la plupart des nouveaux arrivants au Canada doivent faire des pieds et des mains pour intégrer le marché du travail. «C’est tellement décourageant pour eux. On les incite à postuler pour des stages, pour qu’au moins ils aient quelque chose à mettre sur leur CV», fait valoir la directrice générale du Centre d’appui aux communautés immigrantes (CACI), Anait Aleksanian. Les immigrants sont nombreux à se tourner vers des postes non rémunérés afin d’acquérir une expérience de travail au pays, mais tous ne sont pas à l’abri d’abus de la part des employeurs.

Au Canada, certaines organisations estiment que 300 000 personnes travaillent actuellement sans recevoir de salaire. De ce nombre, plusieurs sont nouvellement arrivés au pays. Ils sont plus susceptibles de voir leurs stages s’éterniser ou d’effectuer des tâches qui n’ont rien à voir avec leur domaine d’expertise, admet la directrice. Les normes du travail canadiennes sont pourtant très claires en matière de stage, soulève l’enseignante à l’UQAM spécialiste en droit du travail, Dalia Gesualdi-Fecteau. Les étudiants travaillant dans le cadre d’une initiation au travail ainsi que les personnes effectuant un stage de formation professionnelle sont les seuls à ne pas être couverts par ces normes et donc, à ne recevoir aucun salaire. «À partir du moment où un employeur écrit « stage » dans une offre d’emploi sans offrir de rémunération, il faut absolument s’assurer que le stage répond aux conditions dans la loi sur les normes du travail», martèle la professeure.

Selon l’enseignante, trop peu de nouveaux travailleurs connaissent leurs droits en matière de rémunération. Elle soutient qu’une personne immigrante arrivant dans un nouveau système juridique n’est pas nécessairement au courant de l’ensemble des lois et règlements. «S’ils ne disposent pas des outils nécessaires pour être capable de naviguer dans le marché du travail, ça se peut effectivement que les nouveaux arrivants soient victime d’abus», avance-t-elle.

La crise économique de 2008 est le facteur principal qui explique cette hausse, croit l’enseignant en économie à l’Université d’Ottawa, Gilles Grenier. «La crise a beaucoup touché les compagnies, mais elle est quand même moins grave maintenant qu’il y a quatre ou cinq ans», ajoute-t-il. Selon lui, les employeurs sont aussi à pointer du doigt dans cette problématique. «Certaines entreprises essaient probablement de profiter du fait que des gens sont prêts à aller travailler gratuitement», déplore-t-il.

Anait Aleksanian demeure tolérante envers les stages bénévoles, rappelant que ceux-ci peuvent être bénéfiques pour un nouvel arrivant qui cherche à s’intégrer, tant dans le milieu de l’emploi que dans la société. «Si un stage est vraiment dans le domaine de compétence de la personne, s’il répond à ses objectifs, c’est un moyen très intéressant pour intégrer le marché du travail, croit-elle. Ça peut ouvrir beaucoup de portes.»

En revanche, la directrice du CACI reconnaît que les nouveaux arrivants tentés par l’idée d’effectuer un stage ont intérêt à le faire en collaboration avec un organisme pouvant les outiller. «C’est sûr que tout ce qui est non rémunéré, comme le bénévolat ou les stages, doit être très bien encadré, sinon ça peut devenir déraisonnable», admet-elle.  De l’excès est aussi possible au point de vue de la description des tâches, poursuit la directrice. «J’ai déjà reçu le témoignage de quelqu’un qui s’était fait proposer un stage en secrétariat, alors que la seule chose que cette personne faisait était de ramasser les bureaux et préparer le café», relate-t-elle.

Pour l’enseignante Dalia Gesualdi-Fecteau, mettre en place des mesures pour conseiller et informer les nouveaux travailleurs est un devoir de société. «Qu’il s’agisse de jeunes, d’immigrants ou de personnes qui retournent sur le marché de l’emploi, il faut que ces gens-là comprennent qu’ils ont des droits.» Les responsabilités de l’employeur ne sont pas à laisser de côté, poursuit quant à elle Anait Aleksanian. «C’est primordial que l’employeur comprenne bien qu’il y a un suivi, des buts à atteindre quand on participe à un stage. Oui, la personne immigrante va travailler quelques semaines gratuitement, mais elle le fait parce qu’elle a des objectifs.»

Crédit photo: Louis-Philippe Bourdeau

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