L’ivresse de la génération Facebook

Si les jeux d’alcool mélangés aux médias sociaux peuvent devenir viraux, ils peuvent également créer un cocktail explosif.

Boire le plus d’alcool possible dans des situations hasardeuses, se filmer, partager la vidéo sur le Web puis «nominer» deux amis afin qu’ils fassent encore mieux, le tout en moins de 24 heures. Né en début d’année en Australie, la neknomination est débarquée au Québec dans les dernières semaines. Les excès engendrés par le phénomène inquiètent les autorités publiques, mais questionnent aussi la responsabilité sociale des réseaux sociaux.

Depuis son arrivée sur le Web, la neknomination a coûté la vie à plus de six personnes. «Contrairement aux concours de calage, où il y a des spectateurs, où il y a des gens qui ne boivent pas, là on est tout seul chez nous. Alors si on s’intoxique, il n’y a personne pour appeler des ambulanciers ou un médecin», explique le directeur général d’Éduc’alcool, Hubert Sacy. Il cite en exemple un jeune décédé en roulant à contresens de la circulation sur une planche à roulettes en train de vider d’un seul trait une bouteille de gin, résultat d’une neknomination.

Philippe Paradis, étudiant à l’UQAM, a décidé de relever son défi en buvant cul sec une bière devant l’Oratoire Saint- Joseph. Il estime que le principe derrière les neknominations est rassembleur. À son avis, établir des liens entre ceux-ci et les morts par calage est une idée plutôt absurde. «Caler une bière, c’est pas parce que tu ne l’as pas fait dans ta neknomination que tu ne l’as jamais fait dans ta vie», lance l’étudiant de 20 ans.

Ce cyberphénomène s’apparente au binge drinking, qui consiste à boire des grandes quantités d’alcool sur une courte période de temps. Une pratique qui s’ajoute à la longue liste des jeux d’alcool présents sur le Web. Le professeur spécialiste des technologies socionumériques à l’UQAM, André Mondoux, explique que certaines personnes croient à tort qu’il s’agit de narcissisme, alors que selon lui, c’est plutôt une manière inconsciente de vouloir se dépasser et dépasser les autres. «Il y a la notion de rendement dans la performance. Ils se disent : j’en ai calé trois, quatre ou cinq, alright, j’ai été productif», explique-t-il.

Coupable recherché

Le gouvernement irlandais ainsi que certains groupes de prévention ont demandé à Facebook de fermer les pages faisant la promotion de la neknomination, mais l’entreprise américaine est convaincue que ces vidéos ne vont pas à l’encontre de ses règlements. «C’est leur responsabilité, c’est leur choix. Ce sont des gens qui ont choisi de faire de l’argent, peu importe le prix. C’est comme ça et on n’y peut rien», laisse tomber le directeur général d’Éduc’alcool. Même son de cloche pour le professeur André Mondoux, pour lui, Facebook ne peut pas être présent à la bourse tout en faisant de sa plateforme l’endroit principal où la population s’exprime sur Internet. «Facebook voudrait avoir le statut d’entreprise alors qu’elle prétend offrir  un service», explique celui qui espère un débat autour de cette question dans un avenir rapproché.

[one_half last= »no »][toggle title= »Réinventer les règles du jeu »]Sur les médias sociaux, d’autres jeunes ont toutefois tourné le dos à la neknomination. Un Bordelais du nom de Julien Voinson, s’est fait nominer par un ami, mais a plutôt décidé d’offrir une douzaine de repas à des sans-abris. Il a ensuite mis au défi deux autres amis de faire mieux. Le mouvement du smartnomination rejoint à ce jour un demi-million d’adeptes sur Facebook. «On constate que par la dérision, la générosité et par le drame parfois, il y a des jeunes qui créent une tout autre dynamique à l’intérieur même du système et ça, c’est extraordinairement sain», estime le directeur général d’Éduc’alcool, Hubert Sacy. J.P.P.[/toggle][/one_half]L’essor des mouvements sur  le Web rend la prévention difficilement efficace, selon Hubert Sacy. Il ajoute qu’une campagne de masse s’adressant à une mince couche de la société pourrait avoir comme effet pervers d’inciter les gens à boire à outrance. «Comme ça se déroule dans le cyberespace, il n’y aucun moyen d’intervenir, aucun moyen de faire des campagnes de prévention. Tout se passe dans le monde virtuel. Mais les intoxications sont réelles, elles ne sont pas virtuelles», constate le directeur général d’Éduc’alcool.Il propose plutôt un appel à la discussion avec la famille, parents et amis. «Même sur Facebook, la modération a bien meilleur goût.»

 

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