L’idylle technologique

La réforme du système d’éducation m’a épargné. La révolution technologique n’avait pas non plus pris d’assaut les bancs d’école lorsque j’y étais. Pour moi, et probablement pour des milliers d’autres étudiants de mon âge, TapTouche aura été mon seul compagnon virtuel lors de mon passage au primaire. Pas d’iPads, pas de tableaux intelligents, pas d’ordinateurs portables. Nada. J’écrivais à la mitaine, la vieille école.

Pourtant, après six années de primaire, cinq années de secondaire, deux années de cégep à utiliser pousse-mines, stylos à bille et efface Staedtler, il n’aura fallu qu’un baccalauréat pour me faire tout oublier. À la main, j’écris désormais comme un pied. Maintenant, comme tout le monde, je texte et je tape, je tape et je texte.

Soyons réaliste, l’écriture manuelle est considérée désuète par plusieurs. Les aptitudes recherchées par les employeurs chez les jeunes professionnels sont rarement « belle calligraphie et rapide avec le stylo ». On demande plutôt une bonne connaissance des logiciels de rédaction et une habileté avec les systèmes d’exploitation. L’École est en pleine révolution, car la société l’est aussi.

Si les États-Unis sont en retard à bien des niveaux, ils ont pourtant été avant-gardistes en abolissant l’apprentissage de l’écriture en lettres attachées dans la majorité des états américains. Les jeunes apprennent toujours à écrire à la main, mais surtout, au clavier. Pas de déni chez nos voisins du sud, la réalité s’écrit dorénavant en Times New Roman. Pourtant, à voir le nombre d’heures que passe la nouvelle génération devant son écran d’ordinateur ou de cellulaire, je ne m’inquiète pas que ces jeunes seront en mesure d’apprendre par eux-mêmes.

Être à l’avant-garde, ça ne signifie pas pour autant avoir raison. Ça sous-entend surtout l’idée de prendre un risque. Si l’écriture manuelle est incontestablement en perte de vitesse et de popularité, cela ne veut pas dire qu’elle n’est plus d’aucune utilité. Écrire à la main développe les habiletés motrices et intellectuelles d’un jeune. Lorsqu’un génie a inventé la calculatrice, nous n’avons pas cessé pour autant l’apprentissage des mathématiques pour la simple raison que l’Homme venait d’inventer une machine en mesure de le faire à sa place.

Pourtant, c’est un peu ce qu’on est en train de faire aux États-Unis. Je suis d’avis que l’utilisation de la technologie dans les écoles doit se faire d’une manière progressive. Abolir l’écriture cursive au profit d’une idylle technologique dont on ne connait pas encore la réelle efficacité, c’est un choix inquiétant. D’ailleurs, la décision d’enseigner l’écriture en lettres attachées revient à la commission scolaire et non pas au gouvernement. Malgré tout, cette pratique ne disparaît pas, car les enseignants la considèrent encore utile.

Imaginez une société au sein de laquelle un individu tape sur un clavier des symboles qu’il ne sait pas écrire, qu’il n’a jamais tracés. Et la liste d’épicerie, on la rédige comment ? Et la carte d’anniversaire de grand-maman, on la déchiffre comment ? Et les formulaires gouvernementaux, on les remplit comment ?

Mon ordinateur a récemment rendu l’âme. Croyez-moi, je regrette d’avoir délaissé si longtemps l’écriture manuelle. Prendre des notes sur papier est devenu un réel cauchemar d’inefficacité. La technologie, c’est bien, mais elle nous fait défaut bien plus souvent qu’un simple crayon.

 

Louis-Philippe Bourdeau

Chef de pupitre Société

societe.campus@uqam.ca

 

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *