Conjugué au féminin

Alors que les féministes de l’UQAM organisent de nombreux évènements non-mixtes pour les femmes, certaines d’entre elles expriment leur malaise face à une initiative cherchant à répéter le même processus pour les hommes.

Au début janvier, l’Association facultaire des étudiants en sciences humaines de l’UQAM (AFESH) convie ses membres via Facebook à une discussion anti-patriarcale avec comme thème «Combattre le patriarcat du point de vue du dominant». Réservé aux hommes, l’évènement non-mixte se veut une plateforme où les participants pourront entre autres échanger sur la place de l’homme dans les luttes féministes. Quelques jours plus tard, l’AFESH annonce que la rencontre est annulée. Des féministes ont fait part de leur malaise à l’organisateur qui a été convaincu.

Après coup, ce dernier admet que son entreprise comprenait certains risques. «On se disait que ce pourrait être pertinent, mais en parlant à des féministes, elles m’ont fait comprendre que c’était potentiellement dangereux», explique-t-il. Pour le professeur en science politique et membre associé à l’Institut de recherche et d’études féministes (IREF), Francis Dupuis-Déri, les risques de dérapages reliés à la tenue d’évènements non-mixtes pour hommes sont bien réels. Selon lui, la forme que prennent ces rencontres est déterminante quant à leurs conclusions. «Si c’est pour parler d’émotions, c’est sur qu’il y a un grand potentiel de dérapes, déplore-t-il. Le risque, c’est qu’il se développe de la solidarité et de l’empathie entre hommes, alors que dans ces cas-ci, les hommes sont plutôt le problème», ajoute-t-il par rapport au rôle de la gent masculine au sein des luttes féministes. Faisant référence aux groupes de paroles qui s’étaient développés dans les années 80, à l’UQAM entre autres (voir encadré), Francis Dupuis-Déri associe les rassemblements non-mixtes entre hommes au développement d’un discours masculiniste. «Ils en sont venus à développer des discours de plus en plus axés sur leurs difficultés, leurs souffrances. Ils ne parlaient plus de quoi faire pour aider le mouvement des femmes, mais plutôt de leur condition en tant qu’hommes», explique le professeur.

Préférant garder l’anonymat, l’organisateur de la discussion anti-patriarcale entre hommes prétend ne pas vouloir occuper davantage l’espace public. Se proclamant pro-féministe, il est maintenant convaincu que son projet était injustifié et dit regretter d’avoir fait sienne une lutte qui doit d’abord être menée par les femmes. «En organisant une rencontre non-mixte pour hommes, ça me donnait sans le vouloir un certain prestige. On me félicitait de l’initiative alors que plein de féministes luttent vraiment fort pour en organiser chez les femmes et qu’elles ont moins de visibilité et c’est moins bien accueilli», explique-t-il.

Shanie Roy, féministe militante et étudiante à l’UQAM, a fait valoir son point de vue à l’organisateur. Malgré les bonnes intentions, selon elle, l’évènement n’aidait en rien la solidarité entre femmes malgré le fait que plusieurs d’entre elles supportent l’initiative. «Depuis des années, des féministes essaient de créer des liens entre femmes et de mettre sur pied des projets et là, en quelques jours, je me fais attaquer par certaines qui supportent la tenue d’une discussion entre hommes», témoigne-t-elle.

Loin de condamner la tenue d’évènements pro-féministes entre hommes, Shanie Roy pense plutôt que ceux-ci pourraient avoir lieu, à condition qu’ils soient encadrés par des femmes. «En plus de renverser les rapports de pouvoir et de briser la solidarité masculine, qu’un évènement du genre soit animé par des femmes permettrait de donner la priorité de parole aux dominés.» L’étudiante encourage aussi les hommes à appuyer la cause féministe par d’autres moyens. «Ils peuvent participer à la plupart des évènements féministes qui sont organisés autour d’eux. Encourager leurs camarades à venir à ces évènements pourrait être un moyen d’utiliser la solidarité masculine à contre-courant», déclare-t-elle, enthousiaste.

La rencontre non-mixte entre hommes n’étant plus à l’horaire de l’AFESH, son organisateur espère toutefois continuer à fournir son aide au mouvement d’émancipation des femmes mais dans une approche plus militante. «C’est normal que dans la lutte féministe, les hommes se sentent inconfortables et exclus puisque cette lutte sous-entend une perte de leur pouvoir, conclu-t-il, Cette perte de pouvoir est douloureuse, mais elle est nécessaire».

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Quand les hommes s’en mêlent

À l’occasion de la Journée internationale des femmes, le 8 mars 1908, la CSN anime un débat non-mixte à l’Université du Québec à Montréal qui porte sur la place des hommes dans la lutte féministe. Cet évènement et plusieurs autres du même genre qui se déroulent au cours des mois suivants, rassemblent des centaines de participants. Il en découlera la création de groupes de paroles où les hommes sont invités à venir échanger sur leur condition. De l’idéologie de ces discussions apparaîtront différentes initiatives masculinistes dont Réseau Homme Québec, fondé en 1992 par le psychologue Guy Corneau, Father for Justice et le Comité masculin contre le sexisme. Quoique ces groupes aient en commun le fait qu’ils rassemblent uniquement des hommes, ils ne partagent pas les mêmes visés. Certains militent  pour offrir un soutien aux femmes alors que d’autres s’attardent davantage à la condition des hommes à travers le mouvement féministe.

 

Photo: Denis Bocquet Flickr

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