Dossier éducation: Attachés à la tradition

Ancrée dans le milieu scolaire depuis des décennies, l’apprentissage de l’écriture en lettres cursives perd en popularité tandis que de nouvelles technologies prennent d’assaut les écoles de la province.

Alors que nos voisins du Sud ont aboli l’apprentissage de l’écriture en lettres attachées dans 45 états américains, son utilité est questionnée dans les écoles du Québec. Nuisible pour l’apprentissage lorsque jumelée à l’écriture scripte, familièrement appelée l’écriture en lettres détachées, certains experts estiment qu’elle devrait être remplacée par la maîtrise du clavier.

Traditionnellement, dans la province, les élèves du primaire apprennent d’abord à écrire en lettre scriptes, puis doivent maîtriser l’écriture cursive vers la deuxième année. Bien qu’enseignée abondamment, le Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) n’oblige pourtant pas cette pratique. «Il revient aux écoles et aux enseignants de prendre les décisions à cet égard», stipule le directeur des communications du MELS, Bryan St-Louis.

L’enseignante à l’UQAM spécialiste en écriture et lecture chez les jeunes enfants, Annie Charron, estime que cette tradition peut être nuisible pour les enfants en bas âge. «On leur demande d’automatiser le geste de l’écriture, puis dès la minute où ils ont enregistré l’information dans leur cerveau, on leur demande de changer», déplore-t-elle.  La professeure du département de Didactique des langues de l’UQAM, Marie Nadeau, explique que dans le passé, les deux formes d’écritures étaient apprises simultanément. «On a retardé de plus en plus l’apprentissage de l’écriture cursive, justement pour moins mêler les élèves avec un double système pendant leur première année d’apprentissage, qui est surtout axée sur la lecture», mentionne-t-elle.

Bien qu’usuelle, l’écriture cursive n’est pas populaire auprès des jeunes. «Depuis longtemps, on remarque qu’à la fin du primaire, quand on laisse le choix aux élèves d’écrire comme ils le veulent, la plupart d’entre eux le font en scripte et non en cursive», soutient Marie Nadeau. Elle constate que les élèves ont souvent de la difficulté à lire l’écriture cursive manuelle. «C’est un peu pour eux comme lire l’heure sur un cadran à aiguille.»

Place au clavier

Aux États-Unis, les élèves devront désormais maîtriser l’écriture sur clavier dès la quatrième année, reléguant l’écriture cursive au second plan. Le titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les technologies en éducation, Thierry Karsenti, explique que l’invasion des technologies dans les écoles nord-américaines n’a pas épargné la province. «Dans un avenir très rapproché, l’ensemble des élèves du pays aura avec lui un appareil électronique pour apprendre, soutient-il. Actuellement, il y a 60 000 iPads dans les écoles au Québec, en plus de 40 000 ordinateurs portables.»

Selon Thierry Karsenti, la maîtrise du clavier et des différentes technologies pour rédiger fait partie des compétences nécessaires au 21e siècle. «Dès le primaire, il devient essentiel que les élèves sachent manipuler le clavier sans perdre trop de temps à y chercher les lettres», renchérit Marie Nadeau. Le titulaire de la chaire estime que les écoles québécoises sont en retard au plan technologique. «L’idée n’est pas simplement d’écrire un texte, il faut savoir utiliser correctement les outils de correction, savoir comment chercher quand on se pose des questions, énumère-t-il. Il y a une série de compétences liées à l’écriture des textes avec les outils électroniques et je ne pense pas que l’école mise assez là-dessus.»

Au Québec, l’introduction de nouvelles technologies dans le système d’éducation ne fait pas nécessairement ombrage aux pratiques traditionnelles. Annie Charron explique que le geste moteur lié à l’apprentissage de l’écriture manuelle est important dans le développement des jeunes élèves. «Quand on tape sur le clavier, il faut toujours faire le même geste pour les différentes lettres. Pour les jeunes enfants, ça peut être une difficulté», explique-t-elle. Elle reconnaît toutefois que chez les élèves plus âgés, qui maîtrisent bien le geste moteur de l’écriture, l’apprentissage du clavier est utile. «Les technologies font partie de notre société, mais il ne faut pas les utiliser au détriment des lettres», croit-elle.

Thierry Karsenti avance que le plus important est de trouver un juste milieu entre les apprentissages modernes et ceux plus traditionnels. Selon lui, les écoles du Québec et du Canada sont trop axées vers l’écriture manuscrite, tandis que les États-Unis misent sur la maîtrise du clavier au détriment des autres formes d’écritures. «On risque de se retrouver dans un contexte où les élèves ne sauront plus écrire à la main, déplore-t-il. Dans les deux cas, c’est une erreur». Selon lui, certains apprentissages traditionnels fonctionnent encore très bien, tandis que les nouvelles technologies peuvent apporter une aide précieuse aux élèves. «On ne devrait rien abolir, mais évoluer et trouver un équilibre.»

 

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