De l’oral à la plume

Les paroles s’envolent et les écrits restent. Si la culture orale a longtemps façonné l’histoire des autochtones, depuis quelques années, leur littérature connaît une effervescence nouvelle. 

«De tout temps, le grand défi de la littérature a été de dire ce que l’on n’entend pas assez. De faire connaître ce que l’on ignore trop. De rappeler ce que l’on risque d’oublier.» À l’autre bout du fil, l’écrivain Jean Sioui cite un extrait d’un de ses plus récents textes. À 65 ans, l’artiste wendat est reconnu pour ses écrits ancrés dans la culture des Premières Nations, principalement dans sa communauté, la réserve de Wendake dans la région de Québec. Comme lui, de nombreux auteurs autochtones prennent de plus en plus la parole à travers leur plume et choisissent de s’exprimer en anglais ou en français, au détriment de leur langue traditionnelle.

«L’âme de la poésie, c’est la philosophie des Premières Nations», illustre d’emblée Jean Sioui.  L’écrivain, également directeur des programmes de résidences d’écrivains autochtones en début de carrière régit par le Conseil des arts du Canada, soutient que ce type de littérature connaît une croissance sans précédent depuis les dernières années. «Elle prend vraiment sa place dans le monde littéraire au Québec et même au Canada», constate-t-il. Si les écrits en langue autochtone se font plutôt rares, ceux en langue française et anglaise pullulent. Également co-fondateur de la maison d’éditions Hannenorak, Jean Sioui considère qu’il y a tout de même une volonté de rallier les deux mondes. «Dans certaines de nos publications, par exemple, nous faisons la numérotation des pages dans la langue autochtone, révèle l’écrivain. On essaie toujours de trouver un endroit où on pourra l’incorporer dans nos livres.» Cette relative absence d’écrits dans les différentes langues autochtones comme le wendat s’explique par la perte de leur transmission au fil des générations. Le vent tourne depuis et l’auteur constate un retour de cet héritage perdu. «Il y a une renaissance de la langue chez nous, explique-t-il. Ailleurs aussi, beaucoup de jeunes sont conscients du danger de la perte de la langue et développent des programmes pour que celle-ci survive.»

Ce potentiel bilingue est également exploité par d’autres auteurs. En 2013, l’écrivaine innue de Pessamit Joséphine Bacon a publié Un thé dans la toundra/Nipishapui nete mushua, un ouvrage poétique écrit en français et en innu-aimun, sa langue maternelle. Selon le professeur spécialisé en identités, cultures et patrimoines autochtones à l’UQAM, Laurent Jérôme, cette écriture bilingue, bien que rare, est tout de même présente. «Il y a cette volonté chez les auteurs d’écrire dans leur langue. Néanmoins, il faut considérer que c’est beaucoup de travail et c’est encore une minorité [qui le fait].» Pour l’enseignant, la littérature dans les communautés autochtones est de plus en plus valorisée, aux côtés d’autres médiums comme Internet, l’art contemporain ou encore le cinéma. «La littérature s’inscrit dans ce mouvement de réappropriation d’un médium d’expression à la fois identitaire et politique, c’est-à-dire se positionner sur la scène locale, nationale et internationale», illustre-t-il.

Si des thèmes comme la nature, les animaux et l’environnement font partie du quotidien de  plusieurs individus des Premières Nations, ces thématiques n’ont toutefois pas le monopole des sujets abordés par les écrivains. «Ce n’est pas parce que tu es un auteur autochtone que tu dois automatiquement écrire des livres à saveur autochtone, pointe Jean Sioui. Ça peut être n’importe quoi d’autre, je crois qu’il faut éviter de mettre les gens dans des carcans.» Des initiatives comme le salon du livre des Premières Nations, qui se déroule à Wendake depuis trois ans, évitent justement de tomber dans ces «pièges», indique-t-il. Selon l’auteur, il s’agit d’un outil nécessaire afin de faire connaître la littérature de sa communauté.

Double tâche 

Malgré les efforts fournis par les auteurs, le manque de représentativité des autochtones persiste dans les médias traditionnels, estime Laurent Jérôme. «On aborde très peu d’aspects positifs concernant les autochtones dans les grands médias, souligne-t-il. Comparativement à d’autres médiums d’expression comme la musique, on parle très peu de la littérature amérindienne et inuit.» Ce manque de reconnaissance est également lié au système d’éducation. Il n’existe pas encore d’enseignement spécifique lié à ce type de littérature dans les établissements scolaires, ce qui est une autre problématique, selon le professeur de l’UQAM.

De plus en plus, des programmes sont créés dans le but de revaloriser les langues autochtones. En 2007, le projet Yawenda a été lancé afin de revitaliser la langue hurrone-wendat à travers des programmes de formation et d’apprentissage, une collaboration entre le Conseil de la Nation Huronne-Wendat, l’Université Laval et le Conseil en éducation des Premières Nations, entre autres. Plus récemment, le ministère de l’Éducation du Loisir et du Sport a accordé des crédits pour l’enseignement de la langue wendat dans les établissements secondaires à Wendake. Une initiative qui pourrait redonner le goût aux auteurs autochtones de la région de connaître leur langue et surtout de l’écrire. «On a longtemps dit que la langue wendat était morte, illustre Jean Sioui, mais maintenant on dit plutôt qu’elle n’est qu’est endormie.»

Crédit photo: Mémoire d’encrier

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