Qu’il ait des poignées d’amour, la carrure d’un joueur de football ou la peau vieillissante, le corps se révèle par la danse. Ouverts à de nouvelles morphologies, les chorégraphes effacent pas à pas les standards de beauté de la scène contemporaine montréalaise.
Fini les corps parfaits. Petits ou gros, jeunes et vieux, peau noire ou cheveux roux, les danseurs sont le reflet de la réalité. Les chorégraphes, qu’ils soient revendicateurs ou soucieux de représenter le monde qui les entoure, braquent leurs projecteurs sur des danseurs aux corps atypiques.
Aux yeux de plusieurs diffuseurs et interprètes, la danse contemporaine ne peut faire autrement que de présenter des morphologies variées, puisqu’elle doit mettre en scène l’humain. «Chaque corps porte son histoire, est marqué par ce qu’il a vécu. Plus il y a de la diversité, plus l’humanité se montre», conçoit l’historienne de la danse Michèle Febvre. Les créateurs ne le font pas pour provoquer, pense-t-elle, mais pour représenter le monde qui les entoure. «On voit des roux, des noirs, des gens plus corpulents, commente la co-directrice artistique du diffuseur Danse Danse, Clothilde Cardinal. On voit même des danseurs moyen-orientaux, s’exclame-t-elle. Tout ça s’inscrit dans le profil changeant de Montréal.» La co-fondatrice de la compagnie de danse Tangente, Dena Davida, rejette toute forme de balise en art. «Il n’y a pas de norme en danse contemporaine, s’exclame-t-elle. Chaque esthétique est construite par le créateur, en réponse à la façon qu’il a de percevoir son œuvre.»
Le danseur, selon son physique, peut attirer des spectateurs ou encore passer inaperçu. La chorégraphe Ève-Chems de Brouwe a choisit d’exploiter cette différence. Elle s’est acharnée à transmettre ses mouvements à des aveugles. Souhaitant également repousser ses limites, Catherine Tardif a fait danser deux femmes de petite taille avec un homme de deux fois leur grandeur. L’interprète France Geoffroy, trois ans après un accident qui l’a rendue tétraplégique, a jeté les bases de ce type de danse au Québec en 1994. Ce type de danse présente des personnes avec des handicaps physiques, souvent en siège roulant.
Si l’ouverture d’esprit a toujours fait partie de son idéologie, la danse contemporaine n’a pas échappé aux standards de beauté du ballet classique dont elle est issue. «L’idée de diversité s’est précisée ces dernières années, bien qu’on ait vu apparaitre des corps différents dès les années 80 ici, raconte l’historienne de la danse Michèle Febvre. Selon Dena Davida, le débat n’est toutefois pas prêt d’être clos. «C’est un immense défi philosophique que de faire changer les mentalités de tous, tant le public que les diffuseurs et ceux qui accordent les subventions, pense-t-elle. Il y a de plus en plus d’ouverture, mais pas assez encore.»
Qui dit scène diversifiée dit projecteurs pour tous les danseurs professionnels québécois, peu importe leur physique. Selon Clothilde Cardinal, l’artiste peut se servir de sa chevelure de feu ou de son bourrelet pour faire sa place dans le paysage de la danse contemporaine. «Si l’artiste veut travailler fort, il trouvera sa place dans le milieu, constate-t-elle. Certains danseurs québécois qui ont commencé ici reviennent sur notre scène avec des compagnies étrangères.» La Grande-Bretagne, cite en exemple la directrice artistique, a toujours été plus revendicatrice. «Dans tous les milieux, il y a une volonté très forte là-bas de montrer ce qui n’est pas commun. Ils ont en général toujours été en avance sur notre société», ajoute-t-elle. Les États-Unis ne laissent pas non-plus leur place dans la mise en scène de corps différents. À New York, certaines compagnies sont fondées sur la volonté même de montrer une grande diversité.
Nouveaux regards
Cette éthique, propre à la danse contemporaine selon Dena Davida, n’a toutefois pas encore entièrement sa place à Montréal. «Quand Tangente a sorti sa série Corps atypique cet été, il y a eu des critiques comme il y en avait dans les années 80», ajoute la directrice artistique. Clothilde Cardinal, de Danse Danse, admet qu’il y aura toujours des gens choqués par les nouvelles propositions. «Mais le spectateur qui achète son billet est averti d’avance et l’achète en connaissance de cause», remarque-t-elle.
La professeure au département de danse de l’UQAM, Johanna Bienaise, insiste sur le caractère émotionnel de la danse contemporaine. «On est davantage dans la sensation que dans la forme. Si on va chercher tous les types de corps, on encourage le processus de recherche de sensibilité du public.» Le regard des spectateurs sur le mouvement s’en trouve changé. «Le corps sur scène n’est plus limité à représenter un idéal de perfection», décrit la chercheure en danse à l’Université McGill Noémie Solomon. À ses yeux, le public s’identifie plus facilement lorsque le monde réel est représenté dans une pièce.
Si Noémie Solomon se questionne quant à la place que prendra dans le futur la danse plus classique, Clothilde Cardinal reste convaincue de l’attrait indémodable du danseur au physique sculpté par l’entraînement et la technique. «Il y aura toujours une admiration pour le corps athlétique du danseur, insiste-t-elle. On y ajoute présentement une diversité artistique. L’art devient intéressant lorsqu’on recrée les standards!»
Crédit photo: François Stemmer, Olivier Dubois Tragédie présenté à Danse Danse
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