Terre promise

Klondike des applications mobiles, Montréal semble promettre profit et succès aux jeunes développeurs. La féroce réalité montréalaise est pourtant loin de l’image des génies de l’informatique devenus millionnaires instantanés.

Plaque tournante du développement d’applications pour téléphones intelligents, Montréal surfe depuis 2008 sur la vague de la révolution mobile. Exit cependant le cliché de l’argent facile abondant dans les poches des développeurs indépendants. La concurrence de la métropole les oblige plutôt à rivaliser d’ingéniosité pour décrocher un emploi dans cette industrie alimentée par les paradoxes.

Rares sont ceux qui font fortune en vendant leur application en ligne. Ils doivent plutôt s’investir corps et âme pour rentabiliser leur projet. «C’est difficile de faire de l’argent avec ses propres applications, sauf si c’est un succès monstre, affirme Jean-Pascal Dumoulin-Comeau, diplômé de l’UQAM en médias interactifs et développeur nouveaux médias. Si tu décides de vendre ton application, ça peut être long avant de rentrer dans ton argent.» La promesse de millions de téléchargements peut mener les jeunes développeurs à investir des mois d’efforts acharnés dans un seul projet qui ne verra peut-être même pas le jour.

L’industrie du mobile donne de grands espoirs de carrière, mais n’est pas la panacée que l’on croit, selon Rémi Villeneuve, directeur de l’organisme TechnoCompétences, un comité de main-d’œuvre en technologies de l’information et des communications. «On peut penser qu’il y aura davantage de création d’emplois, mais c’est difficile de l’affirmer, nuance-t-il. Le volume de travail n’est pas encore suffisant pour que les entreprises se spécialisent dans ce domaine.»

Graphistes, vendeurs, programmeurs. Plus de 10 000 personnes oeuvrent dans l’industrie du développement d’applications mobiles au Québec, selon une étude réalisée par TechnoCompétences sur les besoins de compétences dans le domaine des applications mobiles. De ce nombre, 3500 à 4000 sont des programmeurs et développeurs mobiles. Montréal fournirait environ 70 % de cette main-d’œuvre, selon Rémi Villeneuve.

Le marché a explosé ces cinq dernières années, depuis la création du App Store et la mise en marché des téléphones intelligents à écrans tactiles. Montréal a rapidement saisi la balle au bond. Environ 200 entreprises font aujourd’hui des affaires au Québec. «Auparavant, Montréal se démarquait davantage. Maintenant, il y a plus de joueurs. C’est plus difficile de percer avec plusieurs concurrents nord-américains», explique le directeur de l’entreprise montréalaise One App, Julien Ménard,

Si un développeur indépendant est prêt à surmonter les difficultés du marché, l’industrie montréalaise du mobile demeure viable pour lui. «Plusieurs entreprises veulent offrir ce service à leurs clients. Puisqu’elles n’ont pas la capacité de développer l’application à l’interne, elles vont se tourner vers des indépendants pour réaliser une économie par rapport à une entreprise aux tarifs plus élevés», explique le directeur de One App.

Félix Ménard, fondateur de la plateforme de covoiturage We Roll, croit plutôt qu’il est difficile de rassembler une large équipe de développeurs compétents. «À Montréal, le talent est monopolisé par les grosses boîtes comme Google, déplore-t-il. Il y a peu d’indépendants, mais ceux qui sont disponibles le sont à peu de frais.»

Pour faire compétition à ces géants de la mobilité, un indépendant n’a d’autre choix que de sacrifier tout son temps libre. «Les ressources des développeurs indépendants sont limitées, ajoute Julien Ménard. Si le projet doit s’accélérer, leur seule ressource est le temps personnel qu’ils peuvent accorder au projet, et non le temps d’autres employés.» One App emploie six développeurs mobiles, dont quatre à temps plein.

Apprentissage solo

La relève formée ne sortira pas de sitôt des bancs d’école, les cours de développement mobile étant presque inexistants dans les cégeps et les universités. Les génies en herbe de l’informatique doivent donc être autodidactes et faire leurs classes par eux-mêmes, sur le Web. «Les jeunes qui ont une certaine fougue pourront se trouver un emploi s’ils sont prêts à passer 10 000 heures à apprendre à programmer. Il faut être un peu obsédé», croit Félix Ménard.

«Le programmeur se doit d’être un homme-orchestre et doit s’investir dans la mise en marché et la commercialisation du produit», affirme Rémi Villeneuve. Il s’interroge toutefois sur la création d’un nouveau titre d’emploi pour cette nouvelle fonction, qui pourrait plutôt être intégrée au poste de programmeur. Le développeur nouveaux médias Jean-Pascal Dumoulin-Comeau abonde dans le même sens. «Si tu veux être compétitif, tu dois être polyvalent: son, graphisme, programmation, détaille-t-il. C’est pratiquement essentiel d’avoir une équipe de trois à cinq personnes issues de domaines différents.»

Des dizaines de nouvelles versions de téléphones intelligents sont lancées chaque année, les produits sur lesquels planchent actuellement les développeurs pourraient donc être rapidement désuets. La situation n’inquiète cependant pas Julien Ménard. «De nouveaux appareils sortent tout le temps et la technologie évolue : il faut être au courant de ce qui se développera et ne pas seulement y réagir», dit-il. À ses yeux, lorsque le raz-de-marée technologique les surprendra de nouveau, l’important sera d’être prêt à sauter à l’eau.

 

Crédit photo : Louis-Philippe Bourdeau

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