La Charte m’empêche de manger des beignes

Je suis fier de mon Québec. De tous ces gens cultivés, informés. Je suis réconforté par la pertinence de votre argumentaire. Je suis enchanté de vous lire sur les médias sociaux. Vous me faites sourire. Vos arguments sont poignants et chargés de bon sens. Vous qui avez vraisemblablement feuilleté en son entièreté le dossier sur la Charte des valeurs québécoises. Vous, les spécialistes de la laïcité, de la neutralité de l’État. Vous qui, avant tout le monde, connaissiez l’existence du mot «ostentatoire». Vous êtes mes champions de la semaine.

Décodez ici mon sarcasme.

Quand les blogues d’Urbania semblent être la nouvelle référence nationale des «spécialistes anticharte». Quand mon voisin d’en bas, une bière entre les jambes, croit que de «méchantes musulmanes voilées» vont venir convertir sa femme dans son salon poussiéreux d’Hochelag. Quand on a même pu le goût de manger un beigne au Tim Hortons, car on est remplis à force d’avaler de travers des sophismes à la douzaine. Quand tout le monde s’improvise spécialiste. Je me dis qu’il y a un problème. Non pas dans le fait de débattre de ce sujet, bien au contraire, mais dans la façon de le faire.

Certains sont déjà prêts, marteau en mains, à crucifier publiquement la Pauline, alors que le projet de loi n’a pas encore été déposé. D’autres ont préféré baser leur discours sur une xénophobie à peine voilée en garrochant la pierre sur les «étrangers». La démarche du gouvernement est ostensible. Elle a pour but évident de faire jaser le petit peuple. Et bien des gens sont tombés dans le panneau. Un débat comme celui-là, ça enflamme. Je ne dis pas qu’il faut le mettre à l’index, il faut juste s’assurer que la province ne brûle pas en entier.

On me traitera de pissou, mais je ne me positionnerai pas publiquement sur la Charte. J’ai mes réticences, comme tout le monde, mais je laisse ça aux gens qui s’y connaissent vraiment. J’écoute ce qu’ils ont à dire. J’en prends, j’en laisse de côté. J’en parle à mon entourage. Je me bâtis une tête sur le sujet.

Il y a fort à parier que les urnes s’ouvriront bientôt. Mon vote sera ma voix pour ou contre ce projet de loi et non pas cette chronique. Plusieurs oublient qu’un simple billet de blogue ou un statut Facebook écrit à la va-vite peut générer un raz-de-marée. Le caractère public de la chose me dérange, car dans la majorité des cas il y a des erreurs de fait ou un pan complet du dossier laissé dans l’ombre. Si vous êtes prêts à dire au Web en son entier votre position sur la question, ayez au moins la décence de vous informer convenablement, surtout sur un dossier aussi sensible. Si vous ne faites pas vos devoirs, c’est la société qui perd au bout du compte.

Pendant qu’on radote sur la Charte ou sur la corruption à la sauce libérale, eh bien on passe à côté de bien des choses. Vendredi dernier, c’était la Journée d’action contre la violence sexuelle faite aux femmes. Le saviez-vous? Probablement pas, car le Conseil du statut de la femme et la Fédération des femmes du Québec se scandalisaient sur… le dossier de la Charte.

Pourtant, la veille, le gouvernement conservateur prouvait encore une fois son incapacité à protéger les plus démunis. Harper a balayé du revers de la main l’appel d’un organisme des Nations unies qui l’incitait fortement à entamer un examen national dans le but de mettre fin à la violence envers les femmes autochtones. Une communauté durement affectée par des problèmes récurrents d’agressions sexuelles. «Pas de leçons à recevoir des autres», croit-il. Il affirme que «plusieurs initiatives» ont déjà été établies en ce sens afin de régler ces problèmes. Laissez-moi en douter.

La Charte, la Charte… C’est pas une raison pour se faire mal, ni une raison pour négliger tout le reste.

 

Louis-Philippe Bourdeau

Chef de pupitre Société

societe.campus@uqam.ca 

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