D’écrire sans compter

Au bout du chemin, en bas de la côte, l’écrivaine Roxanne Bouchard brode sa carrière. Les coïncidences viennent la chercher jusqu’au fond des bois, entre ses correspondances exotiques et ses romans pure laine.

La cheminée de la maison qu’elle a bâtie avec son père laisse s’échapper la fumée d’un p’tit feu réconfortant. À l’intérieur, le crépitement se mêle à la voix chaude de Tiken Jah Fakoly, un chanteur africain. «C’est tellement pas ça que j’aurais dû mettre!» rigole Roxanne Bouchard, rougissant de ne pas avoir étalé son amour de la culture québécoise, charpente de ses trois romans. Les récits de l’auteure prennent racine dans de simples moments, cueillis à même son train-train quotidien. Elle exporte par courrier les anecdotes collectionnées en correspondant avec des destinataires croisés par hasard, en chemin. Ses échanges épistolaires avec le soldat canadien, Patrick Kègle, parti fouler le sol afghan, font sortir l’écrivaine de son repère tranquille depuis leur publication en janvier dernier.

2004. Le cri du cœur du soldat Kègle,en mal du pays sur sa terre aux chemins minés, tombe dans la boîte courriel des Charbonniers de l’enfer, groupe traditionnel dans lequel jouait l’ex-compagnon de l’auteure. C’est elle qui sera tenue d’y répondre. Tenace, elle le bave, le pique et le questionne. Il réplique, toujours compréhensif. Les mois passent, et devant les atrocités de Kaboul, elle partage avec «l’homme armé jusqu’aux dents» les douceurs de sa p’tite vie paisible. Neuf ans de courriels et de rapprochement virtuel en viennent à alléger l’idée antimilitariste de la campagnarde, qui se dit maintenant pacifiste et sensible au courage des militaires. Roxanne Bouchard a toujours connu la proximité des missives papiers. Jeune fille, elle troque ses journaux intimes pour une correspondance «romantico- amicale» avec un Français «ben mignon» rencontré au chalet familial. «La correspondance, c’est un hasard. Je ne me suis jamais inscrite à un site Internet genre “Correspondez avec ce militaire ” ou “Écrivez à ce dramaturge belge”!» lance-t-elle entre deux éclats de rire. Elle dit avoir appris depuis l’âge de douze ans à faire mousser les anecdotes dans un style ajusté aux attentes du destinataire.

Le militaire Patrick Kègle ne voudrait pas des métaphores qu’un autre correspondant se mériterait, pense l’écrivaine frisée, éternelle adolescente. La poétesse Marie-Hélène Sarrasin retient d’ailleurs du travail de son amie et collègue l’importance des détails.«C’est l’importance de s’attarder à la manière de dire les choses que j’aime chez Roxanne», souligne-t-elle. À l’âge de 18 ans, Roxanne Bouchard recueille le dramaturge belge, Xavier Percy, sur le bord d’une route de Baie-St-Paul. D’une balade en voiture improvisée naîtront de nouveaux défis d’écriture. «Les récits de voyage qu’il m’envoyait faisaient compétition à ma vie un peu poche», révèle l’auteure, alors contrainte renouveler sa plume. Roxanne Bouchard s’émerveille devant sa boîte remplie d’enveloppes et de papier noirci à la mitaine des périples de son cher ami belge. «C’est flyé, y’a plus personne qui a ça aujourd’hui», s’exclame-t-elle, admettant qu’elle ne les relit jamais.

En 2004, ce même compagnon de mots, Xavier Percy, la pousse à se mettre à l’écriture d’un premier roman, qui deviendra Whisky et paraboles. «J’avais écrit le roman: dans ma tête, j’avais relevé le défi, je n’allais pas le publier», dit-elle avec un sourire. La carrière d’écrivaine de Roxanne Bouchard, née de cette bravade, fleurit finalement par adon lorsqu’elle remporte le prix Robert-Cliche du premier roman. Convaincue d’être victime d’une blague, Roxanne Bouchard déconne au téléphone quand on lui annonce qu’elle récolte les honneurs, en 2005. «Parfait, je vais pouvoir payer mes électroménagers!» avait-t-elle répliqué à l’éditeur, pimpante.

La mystérieuse Mlle B.

L’auteure, qui est aussi professeure au Cégep de Joliette depuis 28 ans, rêvait depuis sa jeunesse de suivre les traces de sa mère enseignante et n’avait jamais planifié de carrière d’écrivaine. «Si je passe dix heures par jour à travailler sur mes romans, sans voir personne, je vais badtripper!» explique-t-elle.

D’un large sourire encadré de rosettes prêtes à rebondir, l’enseignante avoue qu’il n’y a rien de plus sacré que l’humour. «Je suis très exigeante avec mes élèves. Quand j’entre en classe, je vide mes poches, j’enlève mes souliers et j’invente un horoscope, badine-t-elle. Parce que je dis qu’on peut lire dans tout, dans les nuages, dans les étoiles, dans les livres!» Élevée avec ses frères dans une maison où ses parents accueillaient 14 personnes intellectuellement déficientes, Roxanne Bouchard a toujours été à l’aise devant un groupe. Si la marmaille des classes de littérature et les plateaux de télévision ne l’impressionnent pas, l’attention médiatique l’épuise. «Là, je viens de lancer deux projets en un an, j’ai comme de la broue dans le toupet!» s’essouffle l’auteure. Après Crématorium circus, roman burlesque, et En terrain miné dont elle vient de faire la promotion avec Patrick Kègle, Roxanne Bouchard s’en tiendra pour les prochains mois aux cours de dissertation et à l’invention d’horoscopes. Pourtant, les projets ne manquent pas : portraits de simples soldats et enquêtes marines gaspésiennes n’attendent qu’un nouveau hasard laissé sur le chemin, en bas de la côte, pour rebondir.

Crédit photo: Catherine Paquette

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