De plus en plus de propriétaires de bars font le pari risqué de signer l’arrêt de mort de leurs commerces avant même d’ouvrir boutique.
Été 2012. Il fait beau. Elle se trouve dans le secteur «Mile-Ex» de Montréal, au coin des rues Saint-Zotique et de l’Esplanade. À l’intérieur de cet immense garage,la blogueuse et journaliste Sarah Meublah commande une boisson et s’entretient avec de jeunes personnes qu’elle connait à peine. Amatrice de petits endroits montréalais branchés et originaux, elle savoure déjà avec nostalgie sa boisson. Dans quelques jours, cet endroit fermera définitivement ses portes, après trois mois d’existence. Cet été marque le début et la fin du bar Alexandraplatz, commerce éphémère qui, avant même de naître, avait prévu de mourir. Communément appelés les bars éphémères, ces entités qui font timidement leur place à Montréal promettent une expérience mémorable, mais de courte durée.
«Dans un lieu aussi improvisé, on n’a pas le temps de se lasser», s’exclame la jeune femme. De plus en plus de propriétaires de bar oeuvrant dans la métropole québécoise voient un attrait dans la mise sur pied d’une entreprise évanescente. C’est le cas de la fonderie Darling, située sur la rue Prince, à Montréal. L’été dernier, entre la fermeture de l’ancien restaurant le Cluny et l’ouverture d’un nouveau, l’ancienne usine s’est transformé en bar ambulant.
Le succès instantané de ces entreprises s’expliquerait par le fait que les gens ont peur de manquer une expérience unique. «Ce n’est pas une occasion d’acheter quelque chose, mais de vivre un moment éphémère, au plaisir temporaire», lance la sociologue spécialisée en philosophie et en histoires sociales, Chiara Piazzesi. Pour avoir fréquenté le bar Alexandraplatz durant l’été dernier, Sarah Meublah partage sa nostalgie de cette expérience. «Le côté éphémère, improvisé et simple, c’est ça qui attirait le plus les gens. T’as l’impression qu’il faut y aller vite, sinon tu vas manquer quelque chose.»
Selon Chiara Piazzesi, les stratégies commerciales des propriétaires de bars se détournent de plus en plus des publicités traditionnelles pour miser sur la promotion via les réseaux sociaux. «On ne s’appuie plus sur la fidélisation du client, mais plutôt sur l’envie de ce dernier à participer à une tendance sociale éphémère.» Ces espaces fondent leur succès sur la prolifération d’un important phénomène de bouche à oreilles virtuel, explique la spécialiste, une stratégie commune à plusieurs bars éphémères. «Même si la clientèle touchée par cette tendance est en générale diversifiée, elle doit nécessairement être en contact avec un langage commercial spécifique, celui d’Internet.» Sur le site Internet du bar parisien le 180, situé en face de la tour Eiffel, un compte à rebours indique aux internautes la fermeture imminente de l’endroit, seconde après seconde.
À Montréal, l’industrie des bars prend un nouveau tournant en revalorisant souvent des lieux oubliés, caractérisé par les faibles coûts d’acquisition. Grâce à une aide gouvernementale, la fonderie Darling a été rénovée à moindre coût. Le bar Alexandraplatz a quant à lui choisi un énorme garage abandonné pour accueillir ses clients. «Pas de location, on joue sur la nouveauté, et les ventes sont énormes. Les coûts sont beaucoup moins élevés. En général, c’est extrêmement rentable», lance Chiara Piazzesi.
Les commerces éphémères deviennent de véritables carrefours de quartiers puisque les organisateurs d’évènements sont au courant des nouvelles tendances, selon la coordonnatrice de la fonderie Darling, Céline Pereira. Cette façon d’attirer les gens, très populaire avec les boites de nuit, contribuerait aussi pour beaucoup au succès des Terrasses Bonsecours, endroit saisonnier situé dans le Vieux-Port de Montréal. «Nous avons déjà reçu la visite de Drake et de Rihanna», se vante le propriétaire des lieux, Andy Aboushaybeh.
De l’autre côté de l’océan
La tendance éphémère européenne des pop-up stores fait référence à des petites entités commerciales qui peuvent se déplacer aisément et qui ne coutent pas cher à mettre sur pied. Il peut s’agir d’un camion-resto ou encore d’un container renfermant tous les outils nécessaires pour se transformer instantanément en bar. «Depuis 2003, le phénomène de ces magasins temporaires commence en Europe, principalement en France et en Italie, avec l’apparition de petits magasins temporaires», affirme Chiara Piazzesi. De plus en plus populaire en Europe, le même attachement pourrait se manifester à Montréal. La spécialiste en histoire sociale ne serait pas étonnée que Montréal soit davantage touchée par cette tendance au cours des prochaines années. «Montréal ressemble à l’Europe. Tout ce qu’il faut pour que cette tendance fonctionne, c’est essentiellement des espaces. Et Montréal dispose d’espaces.»
L’été revient dans quelques semaines. C’est le début d’un nouveau chapitre pour les endroits éphémères. De nouveaux bars branchés et simples se révèleront certainement dans les prochains jours. Parmi eux, la fonderie Darling qui ouvre ses portes le 4 avril pour une treizième année consécutive, avec un tout nouveau programme. C’est le début de nouveaux moments évanescents.
Photo: Fonderie Darling
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