Error 404 not found

Ardents passionnés de la beauté des défectuosités, les adeptes du glitch art exploitent de façon esthétique les multiples erreurs numériques.

Baigné d’une lumière albinos, un des membres du groupe spécialisé en art vidéo this is not design (TIND), Francis Théberge s’affaire à son ordinausaure, l’un des rares du laboratoire à capter le réseau Internet. Sa souris, ternie par l’âge, produit un grincement rauque enterré par l’écho de la ventilation. Dans cet antre de la tranquillité, les limites du glitch art sont repoussées. Ce procédé artistique éclaté tire profit des imperfections numériques.

Au cinquième étage du pavillon Judith-Jasmin de l’UQAM, à quelques rues de là, le directeur de programmes au premier cycle en arts, Alexandre Castonguay, décrit le glitch art comme la reconnaissance de la beauté des erreurs. «Littéralement traduit, glitch, signifie pépin informatique.» Autrement dit, les artistes créent à partir de bogues dans l’écran.

Symptôme du développement du monde numérique, l’apparition de glitches survient au contact de programmes informatiques. Leur utilisation artistique remonte aux années 1960-1970 lorsque Nam June Paik, artiste vidéo américano-coréen, déforme complètement l’image de sa télévision en plaçant, au-dessus de celle-ci, un aimant superpuissant.

«Je crois qu’abuser, forcer et utiliser volontairement les glitches, c’est sortir de son champ initial découlant des erreurs», précise cependant Alexandre Castonguay. Selon lui, faire des erreurs volontairement ne constitue pas du glitch art, au même titre qu’un peintre qui ajoute des coulis plutôt que de les laisser naître naturellement.

Francis Théberge voit les choses différemment. «Je pense que provoquer des bogues reste du ressort du glitch art si une grande place est laissée au hasard. Tu peux inciter la production d’erreurs sans choisir lesquelles vont sortir.» L’artiste montréalais Jean Bourbonnais croit aussi que toute découverte survient d’un accident. «Cependant, ce n’est pas parce qu’on crée à partir de celui-ci qu’il en perd son caractère artistique», ajoute-t-il à l’intérieur de son bureau où sont entessés les VHS, cassettes audio et autres bobines de film.

Un effort dilué

À ses balbutiements, les coûts exorbitants nécessaires à la production de cet art inhérent à l’électronique, forçaient les artistes à se regrouper. À Montréal, le glitch art reste une activité pratiquée de façon individuelle en comparaison aux mouvements de masse glitches des États-Unis ou de Corée du Sud. Sur l’île de Montréal, il ne reste que les regroupements d’artistes Eastern bloc et Perte de signal. «En ce moment, le glitch montréalais est mal organisé. C’est chacun pour soi», observe Francis Théberge.

Pour l’artiste d’origine québécoise Mathieu St-Pierre, la critique revient plutôt à l’absence d’un glitch artistique dans la métropole québécoise. «Le glitch de Montréal est surtout à vocation économique, note-t-il. C’est pourquoi j’ai décidé de déménager en Corée du Sud afin d’y percer.»

Diffusion massive

Bien établi dans les milieux artistiques, le glitch art commence à se faire remarquer du grand public par la simplification de son maniement. Déjà, une série d’applications permettant de «glitcher» ses photos comme le fait, en sortant son iPhone, Francis Théberge, avec une photographie de sa fille. Une fois l’image insérée dans l’application Decim8, il suffit d’attendre trente secondes pour qu’elle se transforme en glitch par une série de déformations, de sélections et de colorations. Le sourire de sa fille a disparu derrière quantité de lignes difformes teintées de vert.

Des chanteurs populaires, comme Kanye West et Beyoncé, agissent à titre d’ambassadeurs du courant par l’utilisation de glitch dans leurs vidéoclips. «Aujourd’hui, on peut voir l’expression du glitch dans les publicités, les films ou encore les jeux vidéos», remarque l’artiste visuel Mathieu St-Pierre. À Montréal, UBISOFT utilise ces procédés artistiques pour la confection des jeux Assassin’s Creed. «Nous ajoutons des effets spéciaux simulant des glitches d’ordinateur pour l’esthétique et pour accentuer l’effet de simulation», confirme un spécialiste des effets spéciaux à UBISOFT Montréal, Thierry Beaumont.

La ventilation arrêtée, l’artiste Francis Théberge se réinstalle face à son bureau, enthousiaste de pouvoir poursuivre son travail. L’écran allumé, le grésillement du vieil ordinausaure se joint aux cliquetis de la souris en attendant le prochain pépin informatique.

***

Incompris
Par son usage de l’informatique, le glitch art se fond mal aux manifestations publiques. «Les musées ne couvrent pas la culture numérique, d’après le directeur de programmes au premier cycle en arts à l’UQAM, Alexandre Castonguay. Leur structure traditionnelle est mal adaptée pour comprendre cette nouvelle forme d’art.» L’exposition montréalaise Chromatic demeure l’une des rares dédiée aux avant-gardistes du glitch visuel à Montréal. Organisée par Massivart, l’évènement annuel Chromatic se déroulera du 18 au 22 mai prochain à la Fonderie Darling.

Crédit photo : eaubscene – Flickr

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *