Distorsion thérapeutique

Une chanson pour soigner. C’est ce que propose la sonothérapie, pratique qui se dit thérapeutique, mais où la clé de sol est freinée par plusieurs bémols.

Des bougies brûlent lentement. Une odeur envoûtante s’en dégage. Des notes de musique résonnent doucement. C’est par les sons de ses bols tibétains et de sa voix que Trisha Pope traite les maux spirituels et émotifs de ses patients dans son petit bureau des Cantons de l’Est. Passionnée de spiritualité et de shamanisme, la guérisseuse a précisé son champ de prédilection par la sonothérapie. Inventée par le Français Emmanuel Comte, la pratique offre des outils, note par note, pour la guérison. Depuis sa rencontre avec le  fondateur de cette médecine légère, le cours de la vie de Trisha Pope a pris une portée musicale. Au Québec, la sonothérapie échappe pour l’heure à tout contrôle, puisque celle-ci est considérée comme étant ni thérapeutique ni médicinale.

Emmanuel Comte lance son  premier centre de recherche en sonothérapie à son arrivée au Québec en 1994. Depuis, il enseigne ses propres techniques en France et au Québec aux intéressés comme Trisha Pope. Celui qui se dit musicien, compositeur, thérapeute, musicothérapeute et chercheur organise des séances, privées ou en concert, de relaxation et de massage par le son. «J’ai créé mon propre savoir, car la musique que je composais a été thérapeutique! Les sons que je crée ont des effets incroyables lors des séances de méditation», soutient-il. Dans les deux cas, il utilise de la musique qu’il crée sur le vif, une méthode qui l’a aidé, dans son cas, à contrer les effets négatifs de la chimiothérapie lorsqu’il souffrait du cancer des testicules.

Si les sonothérapeutes considèrent leur pratique comme étant une branche de la musicothérapie, les associations et corporations professionnelles, elles ne sont pas sur la même longueur d’ondes.  L’absence d’une législation intégrale pose problème pour le classement approprié de ces pratiques. Selon le directeur à la qualité et au développement de la pratique de l’Ordre des psychologues du Québec, Pierre Desjardins, les sonothérapeutes marchent un peu sur des œufs sans les casser. «Selon moi, on n’a pas besoin de passer par tout un processus pour apprécier la musique et relaxer. Tout cela fait un peu “Nouvel âge”. À mon époque, on écoutait Pink Floyd et ça avait les mêmes effets», assure-t-il.

Le projet de loi 21 vise une modernisation de l’organisation professionnelle du secteur de la santé humaine, où les patients sont souvent vulnérables à cause de leur état mental.« On s’est rendu compte que n’importe qui faisait un peu n’importe quoi. Le gouvernement a donc tenté de comprendre certaines pratiques et d’en interdire d’autres», explique Pierre Desjardins. Depuis juin 2012, la psychothérapie ne peut être exercé que par un psychologue, un médecin ou par un détenteur d’un permis de psychothérapeute, émis par l’ordre des psychologues du Québec. Reste qu’il est difficile de déterminer ce qui est thérapeutique ou non selon les adeptes de la sonothérapie. «Lorsque quelque chose nous fait sentir bien, il est impossible de le nier», défend Trisha Pope.

Par ce fait, certains champs de pratique jouent d’ambiguïté alors qu’elle ne sont pas reconnues par l’Office des professions du Québec (OPQ). «Il faut comprendre que la musique est un outil social très répandu, mais être un super musicien ne fait pas de toi un thérapeute», précise Guylaine Vaillancourt, professeure adjointe en musicothérapie à l’Université Concordia. De son côté, Emmanuel Comte répète qu’il ne fait de mal à personne. «Ma démarche est non médicamenteuse. Elle est donc mal comprise à une époque où les médecins veulent toujours prescrire plus de médicaments», assure-t-il.

Dédale thérapeutique

Guylaine Vaillancourt n’arrive pas à croire que les concerts «thérapeutiques» d’Emmanuel Comte soient efficaces. Selon elle, il est impossible que ce dernier  réponde aux besoins de tous ses adeptes grâce à une seule et même chanson. Cela n’empêche pas Yanic Olivier d’organiser des concerts à l’aide de fréquences et d’enregistrements joués directement à travers son iPad. Ces concerts, qu’il organise au moins une fois par mois, coûtent vingt dollars par personne et attirent parfois plus d’une vingtaine d’intéressés. «En musicothérapie, nous choisissons la musique que nous allons jouer à notre patient avec beaucoup de soin et de façon très spécialisée. Comment est-ce que tu peux savoir ce dont chacun a besoin dans une salle pleine d’inconnus?» s’indigne Guylaine Vaillancourt.

Au Québec, le titre de musicothérapeute est accrédité et réservé par l’association des enseignantes et enseignants de Montréal. Toutefois, ce titre n’est pas protégé par un ordre professionnel. N’importe qui peut se prétendre «musicothérapeute». Emmanuel Comte peut donc se présenter comme musicothérapeute malgré l’absence de véritable formation professionnelle. Pourtant, un certificat ou une maîtrise sont offerts dans la province. Les étudiants y sont formés en tant que musiciens et thérapeutes. Leurs soins sont créés sur mesure pour favoriser la communication entre le thérapeute et le client. Lorsqu’interrogé sur son désir de suivre une véritable formation universitaire et thérapeutique, Emmanuel Comte répond qu’il possède sa propre démarche et qu’elle aide véritablement les gens. Il garantit que la sonothérapie sera, un jour, enseignée dans les universités.

Pour Trisha Pope, il est évident que la sonothérapie est plus ésotérique et possède un sens plus holistique. À ses yeux, une réaction positive, même chez une seule personne, vaut son pesant d’or.

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La musicothérapie en France

Chez nos cousins français, l’approche est beaucoup plus prescriptive. Ce sont des professionnels de la santé, et non des musiciens, qui proposent certaines musiques pour la relaxation. Cette approche est parfois vue comme du charlatanisme puisque, comme au Québec, le titre de musicothérapeute n’est pas réservé. Il ne suffit que d’une formation minime de quelques heures pour jouir d’un tel titre en milieu hospitalier.

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