Un vieux monsieur un peu gros

«Depuis quelque temps, l’espace accordé à la culture a rétréci. Comme j’ai toujours vu la culture comme un rendez-vous quotidien, je me sens à l’étroit dans ce nouveau contexte. Ma passion n’a plus de place pour s’exprimer.» – Claude Deschênes

J’étais assise à la Grande Bibliothèque, près des larges fenêtres du troisième étage qui donnent sur la rue Berri. Au quatrième étage, il y avait un vieux monsieur qui s’époumonait bruyamment. Je ne l’ai pas vu, à vrai dire, mais je m’imaginais un vieux monsieur un peu gros. Il me gossait royalement. Finalement, les employés ont appelé l’ambulance. Il était en train de s’étouffer pour vrai et je me sentais donc un peu mal.

Pour faire passer mon malaise – mais c’était surtout pour éviter de faire mon travail d’histoire de la critique d’art – j’ai ouvert LaPresse.ca et j’ai fait le tour des dernières nouvelles. Entre deux articles redondants sur le Sommet sur l’éducation supérieure, j’ai été frappée par une nouvelle tout à fait inattendue: la retraite (démission) de Claude Deschênes, journaliste culturel à Radio-Canada. Dans sa lettre de départ, il dénonce le fait que la place accordée à la culture a significativement rétréci au cours des dernières années.

Je ne reviendrai pas sur la démission de M. Deschênes. Je ne reviendrai pas non plus sur le fait que la part de gâteau – déjà si mince – accordée à la culture dans les médias traditionnels comme Radio-Canada ou La Presse est le plus souvent consacrée à des évènements artistiques à grand déploiement comme un show de Céline Dion ou à des potins plates de vedettes plates.

Pas que ce n’est pas pertinent, mais j’ai plutôt envie de parler de critique d’art, tiens.

La critique d’art constitue un point de repère essentiel dans l’espace médiatique accordé à la culture, que ce soit dans les grands médias ou dans les revues spécialisées.

Au cours des vingt dernières années, une analyse des critiques artistiques permet de constater un certain militantisme. Ce militantisme, l’historien de l’art Giovanni Joppolo le définit comme une pensée théorique, élaborée par la critique, qui accompagne le travail des artistes. Ouf… Bref, le rôle des critiques est de théoriser le travail des artistes contemporains, ce qui permet d’inscrire ce travail dans une perspective culturelle déterminée. Re-bref, la critique, c’est ce qui fait vivre l’art. Bon.

Depuis quelques années, on note cependant une décroissance de ce type de militantisme au profit d’un militantisme de promotion, réalisé par et pour les institutions. La critique formule de moins en moins de théories pertinentes, et se base davantage sur un militantisme de relations publiques. La critique est donc de plus en plus une critique institutionnelle – je parle ici des musées, des centres d’art et des grands évènements culturels – faisant la promotion d’évènements artistiques.

Vous remarquerez bien, aussi, qu’on ne chiale pratiquement plus dans les critiques actuelles. C’est qu’avec le peu d’espace médiatique qu’on accorde à la culture, pourquoi le journaliste parlerait de quelque chose qui n’en vaut pas la chandelle?

Je ne pense pas que ce soit exactement ce qu’a voulu dénoncer Claude Deschênes en quittant Radio-Canada. Reste que la place de la critique, dite militante, dans les médias traditionnels et, par le fait même, de la culture en général, est un débat qui s’annonce coriace. Il faudra garder en tête que sans culture, on fait dur. Aussi dur que moi qui chiale après un vieux monsieur qui s’époumone à la Grande Bibliothèque.

Audrey Desrochers
Chef de pupitre culture
culture.campus@uqam.ca

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