De l’art dans les boîtes à malle

Des artistes de tout acabit impriment et font circuler leurs œuvres sur des bouts de carton de format A6 de 4 X 6 pouces à des fins publicitaires.

Des ouates tombent du ciel et viennent se coller sur la fenêtre du 4 1⁄2 aux tapis bruns et aux armoires acajou. Une multitude de peintures, photos et dessins encadrés cachent les murs. À l’entrée, une étagère se dresse dans l’étroit couloir beige où s’entassent plus d’une centaine de cartables. Sur les reliures, aucune identification des 400 ou 500 cartes classées précieusement par thématiques dans chacun d’eux. 60 000 «bijoux», des photographies osées aux chats en passant par les plus «trash», comme les piercings. Michel Bazinet est l’un des seuls collectionneurs de cartes postales modernes et artistiques au Québec. Si les amateurs courent après ces œuvres cartonnées, les artisans utilisent ce médium peu rentable pour promouvoir leurs envolées créatives.

«Pour moi, chaque carte est une petite œuvre d’art. Le travail qu’il y a eu à faire, de l’impression à l’écriture au verso, c’est un petit miracle à chaque fois», lance le collectionneur en feuilletant les pages de ses cartables. Pour sa part, Jocelyn Paquet, l’homme derrière l’entreprise Les archives du photographe, la carte postale n’est pas un domaine très lucratif et il ne faut pas espérer s’emplir les poches avec ces affichettes. Assis sur son divan bleu, épuisé par le temps, Michel Bazinet imagine le nombre de cartes qu’un artiste devrait vendre pour vivre. Pour gagner 20 000 $ à 0,25$ de profit par exemplaire, 80 000 cartons rectangulaires devraient séduire les acheteurs.

Jocelyn Paquet, lui, estime que pour un peintre qui veut faire connaître son œuvre, la carte postale peut s’avérer être un bon médium. «Pourvu qu’on sache comment s’y prendre, parce que la carte, on la vend un dollar. Si j’avais fait une étude de marché, on m’aurait traité de fou», lance celui qui est l’un des plus gros éditeurs de cartes postales au Québec.

 

Outil plutôt que médium

Au fil des ans, les artisans du postal ont trouvé une autre vocation à la carte: la publicité. «Ça a apporté beaucoup d’eau au moulin. Grâce à la carte postale, je n’ai pas eu à m’afficher dans les annuaires et je n’ai pas besoin de publicité. La carte postale fait tout le travail pour moi», s’enthousiasme Jocelyn Paquet d’Archives du photographe. Derrière chacun de ses modèles, ses coordonnées sont indiquées. «C’est devenu pour moi comme une carte de visite et d’affaires», reprend-il. Les ventes de ses photographies à poster sont une «cerise sur le sundae» de son entreprise.

Des cartons distribués gratuitement, à même les coins de tables, sont monnaie courante. Plusieurs artistes passent par la carte postale publicitaire gratuite pour promouvoir leurs évènements. Les compagnies les engagent aussi afin d’être les créateurs de leurs cartes. Par exemple, l’artiste peintre Yves Archambault est la main créatrice derrière certaines publicités cartonnées du Festival de Jazz de Montréal.

 

Timidité postale

Des commerçants sont parfois réticents à placer ces œuvres dans leurs présentoirs, selon les fervents de cartes Michel Bazinet et Jocelyn Paquet. Pourtant, ils considèrent que le marché de la carte touristique fonctionne à plein régime. «Pour les gens, acheter le produit d’un artiste, cela veut dire aussi payer plus cher», juge Richard Boutin, artiste peintre et éditeur de plusieurs produits, des cartes de souhaits en passant par des cartes saisonnières et des casse-têtes.

Pour le directeur artistique de Basta communication et coordonnateur de la galerie d’art Zone Art, Patrice Côté, la perception d’une peinture ou toute autre œuvre originale diffère d’une carte postale imprimée. Quand tu achètes l’œuvre originale, tu encourages directement un artiste. «Quand tu as des originaux des artistes de ta région ou que tu connais, ça n’a pas la même valeur. C’est quelque chose d’unique.»

En France, des artisans se réunissent lors d’événements pour produire des albums de cartes postales. Au Québec, les acteurs du milieu ont tenté en vain de reproduire le concept. «Personne ne voulait vendre ça», affirme Michel Bazinet qui a lui-même participé et produit des cartes avec ses photos. Il a finalement vendu les droits de 5 000 exemplaires pour une centaine de dollars à des compagnies à grande échelle. L’art postal n’est toutefois pas réservé à la photographie ou à la photocopie. Des artistes des quatre coins du globe s’appliquent à décorer leur carton rectangulaire. Michel Bazinet leur a réservé un cartable spécifique dont la thématique est «fait à la main».

Les ouates blanches peuvent fondre, les cartes touristiques peuvent circuler dans les sacs des facteurs. Les artistes apprennent à se servir du médium comme moyen de diffu- sion publicitaire. Malgré l’évolution de la carte, un temple de l’art postal se construit toujours dans l’appartement brunâtre du collectionneur qui court après ces artistes du format A6.

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Âge d’or gratuit en déclin

L’art postal renaît depuis 1985. Il aurait connu un premier âge d’or entre 1898 et 1918 à l’époque de l’Art nouveau. La carte postale publicitaire gratuite est venue changer la donne d’abord en Espagne avec la compagnie Vanguardia Distribuciones Y Promociones dans la décennie du premier Macintosh 128K avant d’atteindre le Québec au milieu des années 90. Les compagnies publicitaires Xposé, Le Poste, Le poste de Distribution, Pop Média et Zoom Média s’organisent pour faire tourner la distribution dans la province. Les réseaux de télévision utilisent la technique commerciale de la carte. Ainsi Passe-Partout, Bobino, sa Bobinette et La Guerre des tuques voient leur image entrer dans un format de poche. À l’heure actuelle, on assiste à un désintéressement graduel du phénomène de la carte postale gratuite, selon Michel Bazinet.

 

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