Mâles à part

Si les hommes sont invités à descendre dans la rue pour manifester avec les féministes, leur présence n’est pas toujours permise lors des réunions. La non-mixité des comités féministes sème la grogne chez certains militants.

Devant une large foule scandant des slogans, les féministes des années 70 ont jeté leur soutien-gorge à la poubelle au nom de la libération sexuelle. Si la lutte féministe s’est transformée depuis, la non-mixité perdure dans les différents comités et collectifs. Se réunir uniquement entre femmes mettrait les membres plus en confiance et les inciterait à prendre la parole. Au sein des associations étudiantes, dont le Comité femmes non-mixte, certains militants se sentent exclus de la lutte.

«La non-mixité est parfois essentielle au sein des comités féministes», déclare la doctorante en sciences politiques Stéphanie Mayer, qui a fait son mémoire de maîtrise sur le sujet. Pour elle, ce type d’organisation permet aux femmes de se sentir à l’aise de parler de sujets comme la sexualité et l’avortement. Cela leur laisse aussi la chance d’avoir un rôle de premier plan lors des actions militantes, une place normalement occupée par les hommes des associations étudiantes. La non-mixité ne fait toutefois pas l’unanimité au sein des organisations étudiantes. Le Comité femmes de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSE), qui n’accueille que des femmes depuis ses débuts il y a plus de dix ans, provoque encore des tensions. «Beaucoup de militants critiquent cette structure», admet Camille Tremblay-Fournier, membre du Comité femmes de l’ASSE entre 2009 et 2011.

L’ex-militante du Comité femmes en grève générale illimitée de l’UQAM (femmes GGI), Andréanne Martel, comprend le malaise de certains militants. «Beaucoup d’entre eux estiment que la non-mixité est une nouvelle forme d’exclusion qui éloigne de l’égalité des sexes.» Durant la grève étudiante, son comité se faisait accuser de diviser le mouvement étudiant. La jeune femme estime néanmoins que les comités unisexes ne sont efficaces qu’à court terme et pour des raisons précises, nuance néanmoins la jeune femme. «Le collectif non-mixte les Amazones, par exemple, a été formé durant la grève de 2008 pour combler le manque de présence des femmes dans les actions radicales. Il s’est dissout à la fin de la protestation.»

Appuyer les femmes

Soucieux d’intégrer une présence masculine au sein des groupes féministes, l’Association étudiante d’anthropologie de l’Université de Montréal (UdeM) et celle du Cégep de Saint-Laurent ont formé des comités féministes mixtes. Mais la lune de miel a été de courte durée. Quelques mois après sa création, le comité de l’UdeM a fermé sa porte aux hommes. «Je tenais vraiment à ce que le comité soit mixte, mais parmi les trois garçons qui en faisaient partie, deux ne venaient jamais aux réunions et le troisième prenait toute la place», rapporte l’initiatrice du projet, Iléana Gutnick. Les femmes du comité avaient alors tenté de limiter le temps de parole des hommes, puis de les accueillir une réunion sur deux. Cela avait engendré de nouveaux conflits. «Les hommes sont toutefois bienvenus lors de nos actions militantes», poursuit l’étudiante. Après une seule réunion, les membres du Comité femmes du Cégep de Saint-Laurent ont elles aussi adopté une composition uniquement féminine.

«Même si les féministes font partie d’une organisation non-mixte, elles collaborent avec les hommes, insiste le professeur associé à l’Institut de recherches et d’études féministes, Richard Poulin. C’est une erreur de prendre ça mal que des femmes se réunissent entre elles.» À ses yeux, les hommes peuvent participer au mouvement féministe, mais doivent accepter que des femmes préfèrent s’organiser entre elles. «Les féministes sont très contentes quand leurs collègues masculins publient des textes pro-féministes, participent aux actions militantes et forment leurs propres comités d’hommes pro-féministes, poursuit-il. Elles veulent simplement s’occuper de l’organisation de leur mouvement.»

L’appui des hommes est d’ailleurs important dans des débats difficiles à mener, comme celui sur la prostitution, dans lequel les têtes dirigeantes sont des hommes. L’ancienne militante du Comité femmes de l’ASSE, Camille Tremblay Fournier, admet pour sa part que ses collègues masculins sont mieux positionnés pour parler de féminisme avec des hommes plus fermés d’esprit. «Certains gars machos n’écoutent tout simplement pas les femmes, donc nous avons besoin que les hommes leur parlent.»

En 2008, les Amazones se sont présentées nues devant le conseil d’administration de l’UQAM pour symboliser le manque de transparence de l’organisation. Ces dernières ont compté sur leurs fidèles comparses masculins, qui sont passés les chercher après l’action militante, pour quitter les lieux en vitesse. Les femmes préparent de nouveaux coups, durant lesquels elles feront une fois de plus appel à leurs homologues masculins. Par contre, gare à ceux qui tenteront de prendre trop de place; elles tiennent à être au cœur des préparations et au premier plan lors des actions.

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Sexes flous

Les questions liées à l’orientation sexuelle et à la transsexualité complexifient le débat sur la non-mixité des Comités femmes. «On peut se demander si une lesbienne a vécu les mêmes choses qu’une hétérosexuelle, si l’expérience féminine d’une transsexuelle est légitime pour comprendre ce que vit une femme», admet Stéphanie Mayer.  Durant une assemblée générale de l’ASSE, un transsexuel avait voulu participer à un caucus non-mixte, raconte Camille Tremblay-Fournier, qui a été témoin des événements. «C’est peu commun au sein de notre organisation, donc les gens ne savaient pas comment réagir.» Certaines organisations règlent le problème en acceptant toute personne se considérant comme une femme.

Crédit photo: Félix Deslauriers

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