Si l’efficacité marketing de la publicité tatouée n’est pas prouvée, elle colle longuement à la peau de ceux qui la propagent. Ceux qui y prêtent leur corps doivent savoir imposer des limites.
Des images de Montego Bay, en Jamaïque, défilent, dans une vidéo promotionnelle, sur fond de musique reggae. Deux hommes agités prennent place sur une moto-marine. Au rythme des vagues, Patrick Vaillancourt se fait encrer sur le haut du dos le logo d’une agence de voyage. Pour cette performance, il récolte 2 500 $ et un voyage tous frais payés. Depuis maintenant deux ans, raconte l’homme de 32 ans de son franc-parler, il tatoue son corps à des fins publicitaires et il l’affiche fièrement. Cette pratique sème la polémique alors que les limites du corps sont difficiles à tracer. L’efficacité publicitaire n’est à ce jour pas non plus assurée.
Au départ, le jeune homme expressif avait une idée claire en tête : battre un record du monde en se faisant tatouer 100 000 adresses électroniques sur les bras et le dos. Balayant du revers de la main les conséquences, sa peau est devenue au fils du temps son gagne-pain. «Je suis quelqu’un de vulgaire habituellement, j’aime faire réagir et choquer les gens», affirme-t-il. Informaticien de formation, Patrick Vaillancourt, empoche aussi un revenu d’appoint en réalisant de controversées vidéos qu’il publie sur son compte YouTube.
Il vaut toutefois mieux jouir d’une certaine notoriété et s’imposer des limites, car les publicitaires n’en imposeront pas. Pour la somme de 7 000 $, le boxeur Bernard Hopkins a accepté de changer légalement son nom pour celui du site internet Usgator.com. Tatoué sur le front et le visage, Hopkins affiche également sur sa peau plusieurs publicités de sites web pornographiques. Selon Patrick Vaillancourt, il s’agit d’une limite qu’il vaut mieux ne pas franchir. «Je n’ai pas envie de ressembler à ça! Lui il en vit, mais ce sont des sites porno dans le visage, et pour seulement 500 $!» insiste-t-il. «Un casino en ligne m’a offert près de 100 000 $ pour que je me tatoue sur la joue, confie-t-il amusé. Je me suis toujours dit que rien n’allait toucher à mon visage.»
Pour une compagnie, réussir à obtenir de l’espace publicitaire humain en procure une certaine fierté. «La personne qui se fait tatouer devient un ambassadeur volontaire de la marque. Celle-ci est techniquement tellement fière d’y être associée qu’elle est prête à offrir son corps», explique la professeure au Département de communication sociale et publique à l’UQAM, Nadège Broustau. Selon le propriétaire de la boutique Enigma Tattoo, Daniel Tremblay, les compagnies ont la main haute sur ceux qui ont besoin d’argent. «Recevoir 10 000 $ pour s’être fait tatouer, c’est agréable, mais ça se dépense vite», rappelle-t-il.
Jusqu’à ce que la mort nous sépare
Si l’essor de la publicité tatouée dépasse l’engouement temporaire, des réglementations plus strictes émergeront forcément. «Dès que l’on touche au corps, que ce soit de manière génétique ou commerciale et que l’on touche au libre arbitre, il y a un débat de société», indique Nadège Broustau. Ce genre de législation ne se ferait pas sans heurts. Quelque peu dépassé par les évènements, Patrick Vaillancourt pense s’en remettre à un professionnel pour ses futurs engagements. «J’ai aucune idée d’où je m’en vais avec ça», admet-il dubitatif, mais rieur.
La professeure de communication publique reste sceptique quant à la viabilité de la tendance. «C’est l’effet de surprise qui provoque le buzz, soutient-elle. Étant donné les limites éthiques de cette pratique, je ne crois pas qu’il s’agisse d’une tendance solide qui se développera avec un avenir certain.» Ces panneaux publicitaires humains pourraient manifester des regrets quant à leur choix. «En fonction des fluctuations de la vie, l’attachement que l’on porte à une marque est assez éphémère», constate-t-elle. L’appât du gain peut s’avérer traître quand les adeptes de tatouage en viennent à regretter, soulève Daniel Tremblay. «Ça dépend toujours des projets, mais la plupart du temps le but est un bénéfice monétaire à très court terme pour se payer des paradis artificiels», nuance-t-il. Après s’être fait tatouer sur le front l’adresse du casino Golden Palace, l’américain Brett Moffat a exprimé ses profonds regrets sur la toile. Le coloré Patrick Vaillancourt, lui, planifie déjà investir pour se débarrasser de ses tatouages. «Je porte le tattoo pour dix ans, c’est ça le contrat.»
L’efficacité des publicités tatouées reste à prouver. «Je me questionne quant au genre de consommateur que ce type de publicité touche ou fidélise, si ce n’est que des personnes déjà acquises», souligne Nadège Broustau, sceptique. Pour ces compagnies, user d’une stratégie aussi sensationnaliste est à double tranchant. «Pour l’image de marque à long terme, une publicité mal placée peut faire des dommages, surtout s’il y a un décalage entre le discours de la compagnie et le comportement marketing qui aliène le corps», fait-elle remarquer.
Malgré ses questionnements, Patrick Vaillancourt ne semble pas près de jeter l’encre. Ce dernier se targue d’avoir gagné 60 livres afin d’avoir plus de peau à revendre. Il pourra ainsi mener à terme son projet de record du monde, qui lui aura rapporté près de quatre millions de dollars.
Les premiers pas
Populaire auprès des sites web américains qui ne craignent pas la controverse, la publicité tatouée débute sa frénésie au milieu des années 2000. Dès 2004, la compagnie torontoise TatAd décide d’exploiter le phénomène et attire des clients tels qu’Absolut Vodka et Ford qu’elle met en contact avec de potentiels panneaux publicitaires humains. Un cas ayant particulièrement marqué l’imaginaire collectif survient en 2005. Afin de payer les études de son fils, une mère monoparentale de l’Utah accepte, pour la somme de 10 000$, de se tatouer sur le front l’adresse du casino en ligne Golden Palace.
Photo de une: Courtoisie
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