«La littérature enfantine, mythologique, contes, récits, reflète les mythes créés par l’orgueil et les désirs des hommes : c’est à travers les yeux des hommes que la fillette explore le monde et y déchiffre son destin. » -Simone de Beauvoir
Mon copain, en bon gentleman, lit toujours mes chroniques. Il se poste savamment derrière moi pendant que j’écris et s’acquitte de ses fonctions de lecteur privilégié.
«Mon amour, t’écris toujours n’importe quoi», qu’il m’a dit la dernière fois, en laissant apparaître sur sa douce joue deux fossettes en forme de rire. Rira bien qui rira le dernier, que je lui ai répondu.
Alors là, je vais vous parler d’un sujet sérieux. C’est ça.
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Avez-vous vu Rebelle (V.O. Brave), ce film d’animation de Disney mettant en scène une princesse rebelle – vous l’aurez deviné – qui, grosso modo, préfère le tir à l’arc aux mondanités de château? La petite rouquine (Merida) met alors en doute l’autorité de sa mère castratrice qui l’oblige à choisir comme mari l’un des fils plus ou moins attirants des grands seigneurs d’Écosse.
Je sais, je vous ai promis un sujet sérieux. Voici donc.
Dans les débuts de Disney au milieu des années 1920, les personnages féminins comme Blanche-Neige (années 1930) ou La belle au bois dormant (années 1950) étaient emblématiques de la représentation qu’on se faisait alors de la femme. Une ménagère dévouée qui n’existe qu’à travers son prince.
Si les représentations ont quelque peu évolué, la compagnie de production garde aujourd’hui une conception de la femme conforme à ses paradigmes d’antan. On est passé de «siffler en travaillant» à la belle Raiponce qui, du haut de sa tour, «chante en travaillant». Malgré les progrès du féminisme, plus ça change, plus c’est pareil.
Dans Rebelle, Merida est présentée comme une anticonformiste, une anti-princesse rebelle qui chevauche son cheval Angus en dehors des sentiers battus. En réalité, les créateurs ont tout de même campé Merida dans les stéréotypes de genre. En pointant sa différence, en survalorisant sa supposée marginalité, on conforte l’image normée des fameuses protagonistes féminines. Le film demeure ainsi à l’intérieur des frontières d’un féminisme différentialiste, dont le caractère «rebelle» est plutôt pauvre.
Loin de déconstruire les poncifs de genre, Disney tend vers quelque chose qu’on pourrait appeler «l’homogénéité dans la divergence». En d’autres mots, on se targue de démontrer l’égalité des sexes, en s’assurant pourtant de bien pointer les différences entre les genres.
Certes, Disney peut bien faire un film d’animation avec comme sujet une femme, à condition que ses comportements et son esthétique soient indissociables d’un masculinisme à peine voilé.
Fondamentalement, on n’est jamais bien loin de la fameuse princesse innocente délivrée de sa prison par son valeureux prince charmant – de préférence un preux chevalier, grand et fort, à travers lequel la princesse peut se penser.
À quelques exceptions près – comme Mulan qui, grâce à une ethnicité plus ou moins exotique, peut se permettre plus d’originalité… – la femme dans les films de Disney reste caractéristique de la représentation dégénérée qu’on se faisait d’elle au milieu du siècle dernier.
C’est ce qui a de si décevant, au final, dans Rebelle. Les créateurs se sont sentis obligés de faire en sorte que Merida déchire sa robe pour pointer sa différence. Son père est énorme et fort, ses mains sont grosses comme Merida au complet, et sa mère est filiforme et élégante – une vraie reine, quoi!
Non seulement il faudrait changer le discours, donc, mais il faudrait aussi changer les images. Peut-être devrait-on rejeter complètement l’idée de princesse pour espérer un changement de paradigme radical.
Mais alors, à quoi rêveront les pauvres petites filles?
Oh! Que ferais-je, sans mon prince charmant pour me guider, pour m’inspirer, pour me dicter quoi écrire?
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Alors, mon amour, t’en penses quoi?
Audrey Desrochers
Chef de pupitre Culture
culture.campus@uqam.ca
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