Sortir du placard outre-mer

Une fois arrivées dans les grandes villes canadiennes, les lesbiennes immigrantes ont de la difficulté à trouver des organismes adaptés à leurs besoins.

Alein Ortegen, Mexicaine de 32 ans, a immigré au Québec avec sa copine en 2004. Persécutées par leurs collègues et rejetées par leurs familles en raison de leur relation homosexuelle, leur vie était en danger dans leur pays d’origine. «Tout le monde était sur notre dos. Même la police refusait de nous porter secours», raconte Alein dans un français impeccable rehaussé d’un accent latin. Plus de 1 000 personnes ont demandé l’asile pour se réfugier dans les grandes villes canadiennes en 2011, en raison de leur orientation sexuelle. Les organismes d’aide pour immigrants homosexuels s’adaptent tranquillement à cette réalité, mais peinent à rassembler les lesbiennes.

Au Mexique, Alein se battait pour légaliser le mariage gay même si cela mettait sa vie en danger. «On considérait que ma relation avec ma copine était un péché», se remémore-t-elle. Une fois arrivée à Montréal, elle a appris le français, obtenu le statut de réfugiée, puis s’est impliquée au sein de divers organismes dont l’Action gaie, lesbienne, bisexuelle, transsexuelle et queer pour immigrants et réfugiés. Elle est par ailleurs l’une des rares femmes à s’être engagée au sein de l’organisme Au-delà de l’Arc-en-ciel (ADA), qui vient en aide principalement aux immigrants homosexuels d’origine hispanophone.

«Nous sommes ouverts aux gays et au lesbiennes, mais il n’y a pas vraiment de femmes qui viennent dans nos réunions», regrette le responsable d’ADA, Hector Fabio Gomez. Plusieurs autres organismes voués à l’aide aux immigrants homosexuels, dont Arc-en-Ciel d’Afrique (AECA), qui vise les Afro-caribéens, ont observé le phénomène. À la discussion-causerie mensuelle de l’organisme AECA d’octobre dernier, une seule femme – outre les deux bénévoles – était présente, parmi les dix participants. «Je vais souvent dans des rencontres, mais je ne vois jamais de femmes», a avoué la jeune Africaine, à la fin de la réunion.

«Quand les lesbiennes viennent à nos rencontres, elles remarquent qu’il n’y a pas d’autres femmes, donc elles ne reviennent pas, observe la coordonnatrice du Comité femmes de l’AECA, Patricia Jean. Beaucoup d’entre elles pensent même qu’il n’y a pas vraiment de lesbiennes africaines à Montréal.» La bénévole a rectifié le tir en s’adaptant aux intérêts et conditions des femmes. «Au début du mois d’août, j’ai créé un groupe privé et secret sur Facebook, réservé aux homosexuelles afro-caribéennes, raconte-t-elle. En deux semaines, 50 filles en faisaient partie. Puis 86.» Elle a ensuite organisé un 5 à 7 qui a rassemblé 35 femmes. À ses yeux, ces femmes peinent à trouver des lieux pour se rassembler, car elles associent le Village gay de Montréal aux hommes, remarque Patricia Jean. «Et avec raison. Quand je sors avec ma copine, je croise peu de couples de lesbiennes.»

Double vie

Tout en saluant les participants de la discussion-causerie, qui quittent les bureaux d’AECA, la coordonnatrice explique que beaucoup de femmes lesbiennes mènent une double vie, ce qui les retient de s’impliquer dans des organismes militants. «Elles ne veulent pas que leur orientation sexuelle se sache dans leur famille ou au bureau, donc elles ne veulent pas s’afficher.» C’est parfois le cas des lesbiennes musulmanes, mentionne le candidat au doctorat en sociologie à l’UQAM et vice-président de la Coalition gaie et lesbienne du Québec, David Risse. «Elles vont plutôt fréquenter de petits groupes secrets improvisés par exemple.» Puisque ces femmes vivaient dans la clandestinité dans leur pays, elles ne sont pas toujours à l’aise de vivre leur homosexualité au grand jour en arrivant ici, poursuit-il.

Selon David Risse, il revient aux organismes de trouver les moyens d’aller chercher les femmes. «Il faut cesser de dire que les lesbiennes immigrantes ne s’impliquent pas dans la communauté homosexuelle.» À ses yeux, les services offerts aux homosexuels seront mieux adaptés s’ils se décentralisent, car beaucoup de lesbiennes immigrantes vont chercher de l’aide au sein de groupes de femmes. Leurs intervenantes doivent être davantage formées pour pouvoir aider les immigrantes et les référer aux bons organismes. «C’est un phénomène que nous connaissons très peu dans le milieu, admet l’intervenante Véronique Martineau, qui a participé à la réalisation d’un dépliant sur les immigrantes homosexuelles.

Maintenant mariée avec sa femme, Alein termine une maîtrise en études internationales à l’Université de Montréal. Elle a décidé de prendre une pause dans la lutte pour les droits des homosexuels jusqu’à ce qu’elle trouve un organisme qui pourrait lui apporter un peu de nouveauté. «J’aimerais bien soutenir, par exemple, des artistes immigrants homosexuels.»

De moins en moins de Mexicains font des demandes d’asiles. Le mariage gay, pour lequel Alein a milité au Mexique durant de nombreuses années, a été légalisé dans la capitale en 2009, mais il n’est toujours pas autorisé dans le reste du pays. Elle sait bien que les homosexuels sont encore des cibles, dans son pays d’origine, mais espère que des citoyens continuent à se battre pour améliorer la situation.

Une dernière chance par Paul Émile d’Entremont, Office national du film du Canada

Trop discrètes

Durant le tournage de son documentaire Une dernière chance, dont la première québécoise a eu lieu le 22 novembre dernier, le réalisateur Paul-Émile d’Entremont a suivi durant plusieurs mois deux femmes jamaïcaines violentées et insultées en raison de leur orientation sexuelle. «L’une d’elles a obtenu le statut de réfugié et s’est installée au Canada. L’autre, par contre, ne l’a pas obtenu», indique-t-il. Pour obtenir le statut de réfugiées, elles doivent entre autres prouver qu’elles sont lesbiennes, qu’elles sont en danger et qu’il n’existe pas d’organisation capable de les aider. Ce n’est pas chose facile, car les femmes vivant dans des pays peu tolérants cachent souvent leur homosexualité, ajoute le réalisateur.

***

L’homophobie en statistiques

Huit pays imposent la peine de mort à ceux qui s’impliquent dans des relations homosexuelles, selon la International Lesbian, Gay, Bisexuel, Trans and Intersex (LGBTI) Association. Dans de nombreux autres endroits du monde, la communauté LGBTI est confrontée à des peines de prisons de 10 ans. Les Namibiens, Nigériens et Jamaïcains ont été les plus nombreux en 2011 à faire une demande d’asile au Canada en raison de leur orientation sexuelle.

Photo: Philippe Gillotte, Flickr

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *